La cancérogénèse est liée à des modifications de l’ADN. Or « les premières mutations touchent très souvent des gènes chargés de contrôler la stabilité génétique. Une perte de stabilité favorise l’oncogénèse. D’ailleurs, dans la plupart des familles à haut risque de cancer – cancers du colon familiaux, cancers du sein BRCA, etc – on retrouve des mutations de gènes impliqués dans la stabilité génétique », rappelle la Dr Marie Dutreix (Institut Curie, Orsay).
Par la suite les cellules cancéreuses vont devenir de plus en plus instables. Cette instabilité génétique constitue un atout pour évoluer et échapper aux traitements en développant des voies de résistances. Elle permet notamment le développement des mécanismes impliqués dans la résistance aux sels de platine, aux alkylants et à la radiothérapie. « Les tumeurs tirent profit de cette instabilité. Mais, dans les cancers avancés cette instabilité est tellement importante que les voies de réparation de l’ADN deviennent elles-mêmes des éléments clés à la survie des cellules cancéreuses. Du coup, la survie tumorale dépend de la balance dynamique entre instabilité et stabilité (réparation). Et cette dépendance aux voies de réparation, essentielles à la survie de ces tumeurs avancées, ouvre de nouvelles pistes thérapeutiques », explique la Dr Dutreix.
Aujourd’hui les mécanismes de réparation de l’ADN et leur rôle dans l’instabilité génétique de nombreuses tumeurs font l’objet d’un grand nombre de travaux. « Plusieurs stratégies, dont les inhibiteurs de PARP, visent à bloquer ces voies. Néanmoins, les voies de réparation étant multiples et redondantes, une approche plus globale pourrait s’avérer plus payante », selon la Dr Dutreix
Leurrer la cellule pour saturer les voies de réparation
Mais les multiples voies de réparation n’ayant pas d’enzyme commune, comment les inhiber globalement ? « A Curie, où nous travaillons depuis plus de 10 ans sur ces mécanismes, nous avons imaginé un leurre. Il mime les cassures doubles brins et fonctionne comme un cheval de Troie. Les cellules cancéreuses, aveuglées, ne peuvent plus arriver à identifier les réels dommages subis par l’ADN. Partant de là, elles inactivent les multiples voies de réparation. Et la saturation de ces voies de réparation va induire une sensibilisation aux chimio/radiothérapies », résume la Dr Dutreix.
La première étude clinique tend à confirmer cette hypothèse. Cette étude de phase I-II, présentée récemment au congrès de l’ASCO (1), suggère que cette approche originale est bien tolérée et peut majorer l’efficacité d’une radiothérapie locale.
L’essai a été mené sur une vingtaine de patients souffrant de métastases de mélanomes exclusivement cutanées. « Une situation clinique délicate où l’on hésite à mettre en route une chimiothérapie, peu active sur ces localisations cutanées », commente la Dr Dutreix.
L’étude compare une radiothérapie locale moyennement dosée (3 gray/jours 5 jours/7 durant 2 semaines), associée ou non au leurre (DT01) injecté localement (tous les 2 jours, durant deux semaines) dans certaines tumeurs. Au total, sur les 21 patients évaluables, 76 tumeurs ont été traitées par DT01 + radiothérapie et 41 tumeurs par radiothérapie seule. Le taux de réponse global est de 68 %, versus 49 % sous radiothérapie seule. On a observé en outre 30 % de réponses complètes, sans récidive au terme d’un an de suivi, sur l’ensemble des lésions traitées. « Un taux de réponse complète très intéressant, comparé aux 9 % environ, relevés habituellement dans la littérature », commente la Dr Dutreix. Enfin, le taux de réponse est dose-dépendant, proportionnel aux concentrations sanguines de DT01 (AUC). Et l’on n’a pas mis en évidence de toxicité locale ou générale.
« Une étude de plus grande envergure va tester le DT01 en administration par voie générale (IV) dans les cancers du poumon non à petites cellules et les cancers du sein triple négatifs en récidive, tumeurs elles aussi très instables, en association aux sels de platine. Si l’efficacité de cet outil de sensibilisation aux drogues génotoxiques se confirme, il sera particulièrement utile dans les cancers avancés », conclut la Dr Dutreix.
(1) Le Tourneau C et al. First-in-human phase I study of the DNA repair inhibitor DT01 in combination with radiotherapy in patients with skin metastases from melanoma. Abstract #143029. ASCO 2015
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