Dans nos sociétés de l’abondance, de l’immédiateté et de la technicité toute-puissante, ces pénuries sont mal comprises du grand public : comment est-il possible de manquer de médicaments si courants, si ancrés dans les représentations collectives, et pour certains recommandés à l’ensemble de la population ? En résultent des interprétations parfois à la limite du complotisme, ou faisant supposer la corruption de la santé publique par des firmes pharmaceutiques cherchant à vendre les produits les plus chers en raréfiant les autres.
Des origines techniques, épidémiologiques et politiques
La réalité est plus prosaïque, quoique non moins complexe, et fait intervenir les modes de fabrication de vaccins, la répartition entre firmes des vaccins, l’épidémiologie mondiale des infections, et les politiques vaccinales de l’ensemble des pays :
- Les vaccins sont des médicaments dont la production est longue, s’étalant généralement sur plusieurs mois, voire plus d’un an (par exemple le vaccin antipneumococcique conjugué, ou les tétravalents), et rythmée par de nombreux contrôles internes et externes : la détection d’un problème entraîne généralement la destruction de l’ensemble du lot (tel l’un des vaccins méningococciques C conjugué fin 2014), et parfois la suspension de la chaîne de production (tel l’Engerix B20 récemment) ; les délais de mise sur le marché de nouveaux lots reflètent cette lente élaboration ;
- La pratique intense de ces indispensables contrôles a transformé la production de vaccins en activité à risque, dont beaucoup de firmes se sont désengagées (tel l’arrêt en 2016 du GenHevac B par Sanofi-Pasteur-MSD) : la concentration industrielle est intense dans ce secteur, et il n’y a que peu ou pas d’alternatives lorsqu’un vaccin est concerné par un arrêt de production ou une destruction de lots ;
- L’infection est une interaction entre deux êtres vivants, l’humain et le pathogène, ce qui conduit à des phénomènes épidémiques pas toujours prévisibles, et à des demandes inopinées en vaccins ;
- Les autorités sanitaires modifient régulièrement leur politique vaccinale à la lumière de ces phénomènes ; qu’un grand pays comme l’Inde modifie l’une de ses recommandations (ainsi pour la coqueluche en 2013), et c’est tout le marché mondial des vaccins qui se retrouve en tension ;
- Mentionnons par ailleurs un autre aspect : certains vaccins ne sont plus disponibles du fait de l’existence d’associations considérées par les autorités de santé comme plus adaptés (cas du DTP du nourrisson vs les vaccins hexavalents).
Une gestion difficile des épisodes de pénurie
La survenue d’une pénurie résultant de ces différents facteurs ne peut pas toujours être anticipée, et il en va de même de sa durée ; voilà alors souvent les soignants en porte-à-faux avec le public lors des activités de prévention, tel ou tel vaccin activement recommandé jusque-là devenant indisponible… Les autorités sanitaires proposent à chaque fois une gestion de la pénurie, comportant par exemple la priorisation de l’une ou l’autre des populations cibles (hépatite B, BCG, typhoïde…), l’identification des vaccins alternatifs (vaccins hexavalents devant la pénurie des pentavalents), et/ou la recommandation de repousser les rappels (hépatite B après 2 doses, hépatite A après une dose).
Il est difficile de proposer des mesures de prévention de ces épisodes de pénurie, leurs causes étant multiples et liées à des tendances lourdes. Indépendamment des recommandations complexes qu’elles peuvent entraîner (cf. la récente mise à jour pour la vaccination anti-VHB des professionnels de santé), les pénuries doivent faire l’objet d’une information complète et transparente, tant auprès du grand public que des personnels de santé. C’est l’une des conditions indispensables au rétablissement de la confiance en la vaccination.
Service des Maladies Infectieuses, CHU de Grenoble
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