En mai 2001, quelques jours avant le nouveau rendez-vous que j'aurais dû avoir avec lui, je reçus une note de la secrétaire du centre mémoire qui m'apprenait que le rendez-vous était annulé. Monsieur Duchamp était mort trois jours plus tôt.
J'ai pleuré, seule dans mon bureau.
En août de l'année qui suivit, David m'offrit le voyage aux USA dont je rêvais depuis longtemps. Ce voyage arrivait à point nommé car mon travail était psychologiquement éreintant.
En route vers la Californie !
Los Angeles était un pays plutôt qu'une ville, et je m'y sentis un peu perdue. En revanche San Francisco me laissa un souvenir impérissable. Et pas seulement parce que la ville était magnifique et les rues vraiment pentues. Non, c'est une petite librairie qui me ramena, en un clin d'œil, neuf mille kilomètres et presque deux ans en arrière. Parce qu'au travers de la devanture de cette librairie je venais d'apercevoir un livre qui me figea sur place. Le titre était « Half of a life » que je traduisis par « La moitié d'une vie », mais le visage qui barrait la plus grande partie de la couverture était celui de Félicien !
David demanda ce qui pouvait bien m'attirer à ce point dans ce livre qui n'avait rien d'extraordinaire. Je lui expliquai alors que l'homme sur la couverture ressemblait comme deux gouttes d'eau à un de mes patients. Puis j'entrai dans la librairie pour acheter le roman et je demandai au libraire s'il connaissait l'auteur. Il secoua la tête mais pointa la page de garde. L'écrivain s'appelait James Conti et habitait Cotati, une petite ville à soixante kilomètres à l'est. Il fallait que j'y aille ! Tant pis si ce petit voyage n'était pas prévu.
À ce moment-là je croyais simplement que le livre parlait de Félicien, ce qui aurait déjà été surprenant en soi, car pourquoi un écrivain américain se serait intéressé à lui ? Mais la vérité était bien plus étrange, comme j'allais rapidement le découvrir dans ce bus qui nous amenait à Cotati.
Car en lisant ce roman, j'appris deux choses. D'abord, il s'agissait bien d'une biographie, mais c'était la biographie de James Conti. Ensuite, la photographie sur la couverture était celle de ce même James Conti, alors que j'avais connu un homme ayant le même visage sous le nom de Félicien Duchamp ! Dans plusieurs passages, je retrouvai d'ailleurs des souvenirs que Félicien m'avait racontés presque mot pour mot. Un prénom aussi, Barbara, que je connaissais.
Et puis, je tombai sur le chapitre le plus important du livre, celui qui semblait tout expliquer, mais impliquait une sorte de miracle. James Conti y parlait de son père, un jeune soldat venu combattre en France pendant la Première Guerre mondiale. Il y avait rencontré une jeune fille dont il était tombé amoureux et qui était tombée enceinte. Mais en novembre 1918, un bombardement tua la jeune mère, alors même qu'il était venu la voir juste après son accouchement. Lui-même fut gravement blessé et ne put sauver qu’un bébé. Il tituba jusqu'à ce qu'on le transporte à demi-mort dans un hôpital de fortune. Plus tard, il eut beau expliquer aux médecins qu'il y avait deux bébés, des jumeaux, on n'avait jamais retrouvé le second. Avait-on d’ailleurs vraiment cherché ?
Lui-même, une fois remis sur pied, était retourné sur les lieux du bombardement. En voyant de ses yeux les cratères provoqués par les obus, il avait imaginé et finalement accepté le sort funeste de son second fils.
Il était donc retourné aux USA avec un seul enfant, et des cicatrices sur le corps et dans l'esprit.
Prochain épisode dans notre édition du 22 mars
Robert Dorazi : Robert est né dans les années 1960 dans l’Est de la France où il a fait des études de biologie. Plus tard, il a passé plusieurs années entre Angleterre, l’Ecosse et les USA, avant de revenir en France. Il a commencé à écrire des romans jeunesse dont les héros sont Hivernatien Minimus et Martin Contremage.
Avec la collaboration de
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#1 Naissance d'une vocation
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#3 Deux petits bouts de métal et des souvenirs
#1 Naissance d'une vocation
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