Le buste corseté et relié à une colonne centrale de délestage, les jambes sanglées dans un réseau de câbles, les yeux fixés sur un jeu vidéo sur grand écran, Jean-Marc, 30 ans, en suspension au-dessus d’un tapis roulant, marche.
« Ca fait bizarre de me retrouver debout », confie-t-il en souriant, alors qu’il est en fauteuil toute la journée, après un accident. À ses côtés, le kiné a réglé le niveau d’assistance du Lokomat V 6, l’un des exosquelettes du centre de Granville, pionnier français de la robotique de rééducation ; le kiné contrôle la motorisation des oscillations verticales du bassin, des mouvements de la hanche et du genou. Pendant les 30 minutes de la séance, il reste présent et supervise le travail. « C’est mon deuxième mois de rééducation, poursuit le patient, et je mesure séance après séance mes progrès. J’ai accès à des enregistrements qui me montrent l’évolution exacte de mes performances. » Ce feedback est l’un des arguments majeurs de la robotique rééducative. « Il permet de paramétrer de façon très précise la tâche demandée, explique le Dr David Forestier, qu’il s’agisse d’un feedback visuel sur l’écran de l’ordinateur, ludique et convivial, d’un feedback auditif, ou d’un feedback haptique (retour sensitif). En mode arthromoteur simple, avec le robot qui déplace passivement le membre, sans intervention volontaire du patient, en mode assistance, asservi au niveau de force développé par le patient, ou en mode perturbation, avec une résistance en mode opposé au mouvement, c’est ce feedback qui a fait entrer la rééducation dans une phase évaluative qui, avant le virage robotique, lui faisait défaut. »
Adhésion des patients
Grâce à la robotique, les médecins évaluent les programmes et les patients vérifient leurs progrès. C’est le cas de Madame M., 70 ans, hémiplégique après un AVC, le bras et la main soutenus dans une gouttière reliée à un espace de travail par les capteurs et les logiciels intégrés de l’Armeo Power spring, l’exosquelette de rééducation du membre supérieur dans sa dernière version, utilisée seulement à Granville. À ses côtés, l’ergothérapeute met à jour l’amplitude et la vitesse pour son épaule, son coude et son poignet. Madame M. a les yeux rivés sur son écran, où défilent les images de réalité virtuelle de l’Île au trésor, l’un des jeux qu’elle a choisis : « J’améliore mon score tous les jours, c’est magnifique », s’exclame-t-elle, encore tout étonnée de s’être prise aux jeux vidéos, avec des exercices qu’elle croyait jusque-là réservés à ses petits-enfants.
Cette adhésion des patients constitue l’autre grande avancée de la robotique, souligne Soizïc Injeyan, kinésithérapeute responsable de la rééducation à Granville : « Grâce à elle, la répétition du geste peut être multipliée bien plus que dans le cadre traditionnel. C’est la clé du réapprentissage, ou de l’apprentissage d’une fonction. La robotisation stimule les fonctions cérébrales et certains mouvements sont réenclenchés dans des zones cérébrales nécrotiques, amenés par un nouvel influx central, ce que ne permettent pas les thérapies traditionnelles. »
« Les robots ont révolutionné le paysage rééducatif en France », constate le Dr Jean-Luc Isambert, médecin chef coordinateur du Normandy, à Granville, le premier établissement à avoir pris le tournant robotique en France, en 2006. « À l’époque, se souvient-il, c’était un pari qui a demandé l’assentiment des membres de nos équipes. Aujourd’hui, plus un seul congrès de rééducation ne peut faire l’impasse aux robots et les publications de méta-analyses et d’études randomisées ont établi leurs performances. C’est l’avenir de la rééducation, aussi bien pour les cérébro-lésés (accidents vasculaires cérébraux ou traumatisés crâniens), les blessés médullaires et autres patients neurologiques (sclérose en plaque, paralysie cérébrale). »
Mais les professionnels ne risquent-ils pas alors d’être mis au chômage par les robots, comme se le demandent certains spécialistes ? Aucun danger, répondent en chœur les médecins et les cadres paramédicaux granvillais ; les technologies ne sauraient se substituer aux interventions humaines de rééducation, tout au contraire : « Sans parler de l’accompagnement psychologique, explique Alain Barteau, le directeur du Normandy, les machines nécessitent l’intervention d’un professionnel spécialisé pour faire l’interface de pilotage des robots et programmer les logiciels, avec des réglages adaptés à chaque patient, selon son propre rythme. Aucun patient n’est laissé seul avec ou dans sa machine. Plus la robotique se sophistique, plus elle requiert sur le plateau technique le diagnostic et la guidance des spécialistes. »
Article précédent
De l’abstinence à la réduction des riques : les généralistes face au changement
Article suivant
Que va-t-on en faire dans la pratique clinique ?
Encore un long chemin
Le patient cyborg est-il déjà une réalité ?
Des insuffisants cardiaques transformés par les ARNi
Quand les patients implantés seront suivis par leurs généralistes
La preuve par l’écran
De l’abstinence à la réduction des riques : les généralistes face au changement
Pourquoi les robots ne vont pas prendre le pouvoir sur les soignants
Que va-t-on en faire dans la pratique clinique ?
Les imprimantes 3D arrivent dans les hôpitaux
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante
Regret post-vasectomie : la vasovasostomie, une alternative à l’AMP
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce