Vies de médecin

Dr Philippe Grimaud : héraut d'une mort plus civile

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Publié le 30/10/2017
Dr Philippe Grimaud

Dr Philippe Grimaud
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

C’est un jour triste à mourir, aucune cérémonie n’est prévue. Rien n’a pu être organisé. L’homme que l’on enterre ce matin-là est athée et beaucoup trop jeune pour disparaître. Tout est allé très vite et il laisse derrière lui une épouse dévastée.

C’est un jour d’adieu sans Dieu ni religion. Le vide a créé le chagrin et fait écho à l’absence de cérémonie. Un double vide qui engendre une double peine. Les quelques personnes qui accompagnent le défunt vers sa dernière demeure paraissent désemparées. Présent, le Dr Philippe Grimaud assiste aux obsèques de celui qui a été son patient. L’absence de cérémonial se fait sentir cruellement. Maladroitement mais courageusement la veuve tente d’y remédier. Seule et a cappella, la jeune femme se lance dans un « Ce n’est qu’un au revoir… ». Muette et tétanisée, l’assistance balance entre gène et admiration. C’est (entre autres) cette scène pathétique qui va pousser le Dr Grimaud à fonder en 2007 avec quelques amis l’association laïque pour l’organisation des cérémonies civiles (ALORCCI) en Haute Vienne.

Quinquagénaire grisonnant tout en rondeur, le Dr Philippe Grimaud accompagne volontiers son propos par le geste. On trouve à ce jovial médecin généraliste de faux airs de Xavier Bertrand. Né à Limoges il y a ouvert son cabinet à proximité. Petit, il est déjà un grand lecteur car tout, absolument tout, l’intéresse. Cette insatiable curiosité ne l’a jamais quittée. Elle se double aujourd'hui d'un credo humaniste appliqué dans une relation forte avec ses patients : « Mon exercice est fondé sur la raison et ce que je ne comprends pas, je ne le fais pas. D’ailleurs ce que je ne comprends pas est forcément incompréhensible ! », explique le facétieux praticien.

Il est décrit par un de ses amis (et patient), comme un être rationnel, énergique avec une philosophie de vie solide. Il a aussi, précise un autre ami, « le recul et la sérénité de la personne qui sait que la vie est courte ; mais c’est un épicurien au sens le plus large et le plus noble. »

Chef d'orchestre traitant

« En médecine, je ne fais que ce que je voudrais que l’on me fasse », fait valoir l'intéressé. Philippe Grimaud conçoit son rôle de généraliste – détenteur du dossier médical du patient – à la manière d’un chef d’orchestre qui dirige le concert tandis que ses confrères spécialistes interviennent tels les meilleurs solistes pour interpréter leurs belles partitions. Il inscrit sa pratique dans une démarche individuelle, propre à chaque patient : le bon examen, au bon moment. « Je n’oublie pas les raisons pour lesquelles j’ai voulu faire ce métier. J’ai une relation "barrée" affective et forte avec mes patients. J’agis avec eux comme s’ils étaient les membres de ma propre famille. Ce qu’il ne faut évidemment surtout pas faire ! D’ailleurs ça me bouffe », convient-il dans un éclat de rire avant de réaffirmer l’importance de la relation au patient. « Il ne laisse rien au hasard, très professionnel et passionné, tout ce qu’il fait, il le fait à fond », remarque un troisième ami et patient du médecin généraliste.

« Qui a-t-il de plus important qu’une maman qui m’amène son petit ou qu’un père qui, à vingt heures, préfère me consulter plutôt que d’aller aux urgences avec son enfant fiévreux ? Je me dois d’être à la hauteur de cette confiance. » Philippe Grimaud revendique d’ailleurs « une médecine au pied du lit du patient » et milite pour un exercice connecté de partage des informations.

Agnostique, humaniste et camusien

Malgré une éducation catholique, Le Dr Grimaud n’a pas la foi et n’est pas croyant. Il n’est cependant pas athée car cela signifierait qu’après la mort il n’y a plus rien. Or le médecin affirme ne pas savoir. Il se revendique tout simplement agnostique. « J’avoue à titre personnel ne pas avoir pu résoudre l’équation de Dieu d’un point de vue philosophique, métaphysique. Je n’ai pas les outils et je ne suis pas sûr que les humains les aient. » Que faire à partir de ce constat ? Se replier dans une forme d’absurde, de cynisme ? « Là, je vais être très camusien. Comment donner du sens à notre vie en dehors du sacré ? Quelle est LA solution ? le suicide moral, physique, social ou simplement la volonté de donner du sens ? » Sa réponse est l’humanisme, qui correspond à son engagement en médecine.

Les lacunes de la République

L’agnostique médecin connaît bien la mort. Il l’a côtoyée comme médecin urgentiste et sait particulièrement comment elle est vécue par l’entourage proche. Le Dr Grimaud a cherché une forme de cohérence entre l’après et ce que chacun d’entre nous a pensé sa vie durant. Si la question n’est plus très importante pour le défunt, cela reste problématique pour ceux qui restent. « En cas de décès, j'ai souvent constaté que le choix des édifices religieux se fait plus par défaut que par engagement d’une foi qui serait tout à fait respectable… Je pense qu’a priori il ne faut pas que la famille soit désemparée au point de se tourner par défaut vers le religieux. » Force est de constater que rien n’est prévu pour le citoyen non croyant : « Un peu comme si la République en charge des vivants laissait le soin des morts aux religions. Cela est tellement vrai qu’en médecine de catastrophe comme le crash d’un avion par exemple, la République s’empresse de faire dresser une chapelle ardente ! La cérémonie ne se fait pas dans un panthéon républicain comme cela devrait être le cas », relève une fois encore le médecin passionné.

C’est aussi cette absence de cohérence qui a poussé il y a dix ans le Dr Grimaud à créer l’association laïque pour l’organisation de cérémonies civiles. Et le médecin de conclure : « Si nous sommes tous inégaux dans la vie, autant être égaux dans la mort. »

Annick Bernhardt-Olivieri

Source : Le Quotidien du médecin: 9614
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