Par Jeanne Poma
Je sais bien que je dois maîtriser ma colère et surtout ne pas me laisser envahir par l’amertume mais ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se présente. La clinique ne me fait pas confiance. Elle veut toujours veiller à contenir nos actes.
Pfff, ça y est, elle est là.
Je refuse de l’entendre mais je sais qu’il est déjà trop tard, qu’elle est déjà là, tapie dans un coin de ma conscience.
La petite voix.
Celle qui va me chuchoter les mots que j’aurais dû employer face au chef de service. Celle qui me dira les actes que j’ai manqués et qui me susurrera ensuite que je l’ai laissé me piétiner.
La petite voix coule doucement dans mon esprit comme un goudron noir qui tapisse les cloisons de mon crâne et l’arrière de mes yeux. Un épais magma engourdit ma vision pour laisser le champ libre à ma colère et à ma frustration.
Il faut que je me calme. Surtout ne pas tomber dans cette paranoïa délicieuse.
Mes doigts fins se tordent, faisant apparaître mes articulations blanches et rouges. Un léger pincement pour chaque ongle qui s’enfonce dans mes paumes.
Il faut qu’on m’aide… que j’en parle à quelqu’un, quelqu’un avec qui je me sens bien, quelqu’un qui reconnaît mon travail…
Une seule personne me vint à l’esprit : Martin, mon premier patient de la journée.
Le voir me calmera, j’en suis sûre. Peut-être même qu’il me fera rire.
12 h 17 à ma montre, il doit être à la cafétéria.
Sans m’en rendre compte, je suis déjà en train de courir. Le bruit de mes talons s’écrase contre les grandes baies vitrées du couloir qui mène au restaurant. Mon cœur s’emballe, comme un début de tachycardie pour m’achever.
À peine ai-je poussé les deux portes battantes que j’entends un « boom ! ». C’est Madame Bendouma. Elle me fixe en agrandissant ses jolis yeux marron puis elle éclate de rire.
Derrière elle, le restaurant grouille de monde. Des praticiens qui se détendent, qui discutent autour d’une mousse au chocolat ou d’un café. Se mêlent à eux les infirmières, le personnel administratif mais aussi tous les patients, jeunes ou plus ou moins vieux. Parfois, une personne aux joues plus roses les accompagne.
Le spectacle est habituel mais ma poitrine me tire et compresse le peu d’air que je parviens à avaler.
Comment retrouver Martin parmi cette cohue ?
Je n’entends que des bruits de plateaux, de nourriture, de mastication.
Des chariots qu’on tire, des caisses qui s’ouvrent et le fonctionnement à plein tube des machines à café.
Soudain, je tourne la tête et il est là, qui attend sagement son tour devant le comptoir. Souriant, il a l’air serein en écoutant ses voisins.
Mais qui sont toutes ces filles autour de lui ? La blonde doit être infirmière, une greluche qui traîne trop souvent aux abords de sa chambre…
– Martin ?…
Il s’arrête brusquement de rire pour me regarder. Deux secondes pour attraper un regard anxieux.
– Mais… Mademoiselle Lacau… Vous êtes descendue…
– Je…
– Écoutez, je viendrai vous voir après le déjeuner, remontez… Ne restez pas ici…
Sa voix a changé.
– Je… Je voulais vous voir…
– Mademoiselle Lacau… Écoutez, nous nous verrons plus tard… Vous semblez tendue, pourquoi n’allez-vous pas vous reposer un moment ?
– Mais… enfin vous allez arrêter de me dire ce que je dois faire !
D’un coup, une centaine d’yeux se braquent sur moi. Je ne le voulais pas mais les aigus ont parlé avant moi. La petite voix s’est faufilée dans ma gorge et a hurlé.
Prochain épisode dans notre édition du 16 avril
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