Par Jeanne Poma
– Laurence ?.… Ça ne va pas ?
Tsss… L’infirmière en chef. Elle accourt en se dandinant sur ses petites jambes. Elle a pris soin de dresser ses cheveux vers le ciel ce matin.
– C’est rien, Brigitte. Je m’étais assise juste deux minutes mais je vais reprendre mes visites, ne vous inquiétez pas.
Elle me regarde avec un air gêné. Un soupçon de pitié dans ses yeux.
– Vous devriez rentrer tout de même, insiste-t-elle. Vous êtes toute pâle et vous êtes frigorifiée. Je vais appeler le docteur Ginlois…
– Non, non !
C’est sorti tout seul, j’ai crié.
Les yeux écarquillés, elle a crispé sa main sur mon bras.
– Excusez-moi, je vous ai fait peur… Ça va aller. Regardez, je vais mieux, ne vous inquiétez pas. Je vais continuer mes visites.
Impossible d’être tranquille dans cette clinique !
À travers la porte vitrée, je peux voir que l’effervescence à l’intérieur est toujours la même. Les hautes plantes vertes et la verrière sont censées apporter de la lumière et de la quiétude aux patients mais il y a comme une tension dans l’air.
«Boom ! »
Je sursaute, c’est Madame Bendouma. Une femme âgée aux traits fins et au teint légèrement halé. Alzheimer.
Elle continue son chemin, laissant traîner derrière elle un rire enfantin.
Une fois à l’intérieur, je traverse rapidement les couloirs. Avec ma silhouette fine, on me remarque à peine. Je peux me faufiler sans trop me mêler au monde. Avancer comme une petite souris pour effectuer un travail de fourmi. Juste quelques sourires, quelques bonjours.
Ma relation avec les patients, c’est tout pour moi, comme une vocation.
Ça n’a jamais été le cas de celles entretenues avec mes collègues.
Enfin, se dessine une petite porte jaune au fond du couloir.
Antoine Sinol.
Aujourd’hui, la pièce sera sans doute plongée dans le noir.
Antoine souffre de troubles bipolaires.
– Antoine ? C’est moi, le docteur Lacau…
Nous avons le même âge et nous sommes tous les deux blonds mais la ressemblance s’arrête là. Si je suis toujours droite comme une tige, lui n’est souvent qu’une boule de nerfs recroquevillée sur ce large fauteuil beige.
Pour attirer son attention, je déplie mon cahier. La première page que je trouve est recouverte de couleurs, d’écritures, de traits en dents de scie et de points.
– Tu as dessiné depuis la semaine dernière ?
Un bref regard, rouge, figé, humide. Des yeux qui me hurlent au visage, des yeux chargés de fiel et de mépris.
Un grognement auquel je ne réponds pas.
Puis une lamentation.
– Mais cassez-vous… Cassez-vous ! J’vous avais dit de pas revenir… Arrêtez avec vos conneries… Vous valez pas mieux que les autres…
Je n’ai pas le temps de réagir quand tout à coup deux grosses pattes m’agrippent aux épaules et me tirent vers l’arrière.
Stéphane, le chef du service.
Un vieux pourceau engoncé dans une blouse blanche trop étroite.
– Sortez maintenant !
J’essaye d’articuler « Pour qui vous prenez-vous ?! » mais ma voix refuse de sortir.
– Qu’est-ce que vous faites encore là Madame Lacau ?! Vous savez qu’il faut laisser Monsieur Sinol tranquille. Vous ne l’aidez pas en lui rendant visite.
Je ne vois qu’une bouche abominable et désarticulée, collée sur une tête difforme.
Souffler, respirer.
Le béotien ne me crache que du mépris à la figure mais je ne dois pas m’énerver. Rassembler mon courage, argumenter.
Encore.
Encore subir cette vérification incessante, ces reproches, cette suspicion. Encore endurer cette stupide direction.
Non, je ne dois plus me laisser faire.
Prochain épisode dans notre édition du 9 avril
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