Lorsqu’il pénétra le lendemain matin dans l’amphithéâtre, Merlot prit soin de se fondre au milieu du petit groupe d’étudiants de première année. Cette fois, il voulait ménager un réel effet de surprise.
Martin Raynaud commença son cours par sa question rituelle :
— Des questions sur le cours précédent ?
Il était rare qu’il y en ait. Aussi enchaîna-t-il sans attendre par un « sinon, nous allons continuer... » lorsqu’il fut interrompu par un retentissant « Excusez-moi, professeur ! » qui résonna contre les murs lambrissés de l’amphi. Le lieutenant Merlot venait de se lever et se tenait debout dans les escaliers, prêt à descendre sur l’estrade. Assis quelques minutes plus tôt derrière un grand échalas, Martin ne l’avait pas remarqué et ne put masquer son embarras.
— Je vous en prie, lieutenant, articula-t-il en crispant la mâchoire.
En quelques secondes, Merlot fut à ses côtés, derrière l’imposant pupitre en bois :
— Je ne sais pas si je vous l’ai dit, mais je suis passionné d’anatomie, et vous imaginez bien que dans la police, on en voit des vertes et des pas mûres ! Alors je me disais qu’avec votre permission, je pourrais raconter à vos étudiants une ou deux anecdotes ?
Puis se tournant vers l’auditoire, le lieutenant interpella directement les étudiants :
— Ça vous intéresserait ?
Tous acquiescèrent.
En prenant ainsi Martin en otage face à un public gagné d’avance, Merlot savait qu’un boulevard s’offrait à lui. Il ne laissa pas au professeur le temps de répondre :
— Bien ! Je suis sûr que vous connaissez tous la série Breaking Bad, vous savez, cette série où, dans un épisode, Walter White et Jessie Pinkman dissolvent un cadavre dans une baignoire.
Certains étudiants ne purent s’empêcher de pouffer tandis que d’autres, plus terre-à-terre, affichaient une moue dégoûtée.
— Et je suis sûr aussi que vous vous demandez comment ils ont fait ?
Merlot se tourna vers Martin comme pour lui donner la parole. Ce dernier commençait à se décomposer lui aussi. Le lieutenant poursuivit :
— La réponse est : l’hydroxyde de sodium, plus connu sous le nom de soude caustique, classiquement utilisé pour déboucher les canalisations ou fabriquer du savon. Ce produit peut donc dissoudre les chairs. Pour un corps adulte d’une corpulence moyenne, il faut tout de même compter au moins quarante-huit heures pour qu’il ne reste que les os.
— Je vous remercie, lieutenant, mais j’ai un cours à donner, alors si vous le voulez bien...
— J’ai bientôt fini, docteur, écoutez bien, car la suite vous concerne : figurez-vous que l’enquête a avancé ! Je connais enfin les circonstances de la disparition de votre épouse, et mieux : j’ai pu la localiser !
— Si c’est une plaisanterie, elle est vraiment de mauvais goût !
Le visage cramoisi, Martin avait haussé le ton.
— Mais enfin, docteur, c’est vous même qui m’avez donné la clé du mystère, hier matin, juste après votre cours ! Oui, je sais, c’est pas joli joli, mais je suis resté un petit moment derrière les portes battantes à vous observer. Et tout à coup, je vous ai vu regarder dans cette direction…
Merlot montra le squelette de laboratoire :
— Et avoir ce geste presque affectueux... envers votre femme !
L’amphithéâtre se souleva dans un mouvement d’effroi.
— Le regard que vous avez porté, et cette main que vous avez tendu en direction de son bras, vous auront finalement trahi, docteur.
Céline Santran : Professeure d’anglais et auteure, Céline Santran a délaissé les salles de classe pour se consacrer à l’écriture. Elle a récemment publié une série policière, « Enquêtes en Béarn » (Editions du 38, à paraître en 2018 en numérique chez France Loisirs).
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