— Comme vous le savez, beaucoup de termes anatomiques ont changé de nom.
Le lieutenant Merlot entra dans l’amphithéâtre sans trop de discrétion, heureux de voir que les lourdes portes battantes faisaient toujours autant de bruit. Pour une fois qu’il faisait exprès d’être en retard, il fallait que son entrée soit remarquée. Que Martin le voie et se demande quel intérêt ce flicaillon pouvait avoir à venir écouter un cours d’anatomie.
— Nous dirons donc désormais tonsilles pour désigner les amygdales, poursuivit Martin comme si de rien n’était, scapula au lieu d’omoplate, ulna à la place de cubitus, fibula pour le péroné, nerf fémoral pour le nerf crural, et patella pour la rotule.
Tout en énumérant ces parties du corps, Martin désignait les zones concernées sur le squelette de laboratoire qui se trouvait à ses côtés sur l’estrade.
Le lieutenant Merlot se concentra sur le cours qui l’intéressait autant qu’un exposé sur l’élevage du phoque nain en Patagonie du nord. Pourtant, il accentua sa position d’écoute et continua de fixer attentivement le professeur. Il avait senti, dès son entrée dans l’amphithéâtre, une légère surprise dans son regard.
— Pourquoi, me direz-vous, cette nouvelle nomenclature ? D’abord pour éviter les ambiguïtés : les termes qui précisent la situation et l’orientation des parties du corps sont difficilement transposables de l’homme à l’animal. C’est pourquoi on utilisera crânial ou proximal plutôt que supérieur, caudal ou distal plutôt qu’inférieur, dorsal pour…
Tiens bon Adrien, tiens bon…, se sermonna le lieutenant en luttant contre une irrépressible envie de piquer du nez.
— Et deuxième raison à ce changement : une volonté de respecter l’origine latine du mot. Par exemple, calcaneus au lieu de calcanéum, ou ischium pour ischion.
— J’overdose, souffla un étudiant assis à côté du lieutenant. Un de plus, et je lui fais gober son dictionnaire de latin.
Au moins, Merlot n’était pas le seul à frôler l’indigestion. Un coup d’œil rapide à sa montre lui indiqua que l’heure touchait tout de même à sa fin.
— Je sais que tout cela est particulièrement rébarbatif, mais ce n’est rien comparé à tout ce qui vous attend encore ! lança le professeur en souriant. Vous savez que j’aime toujours terminer un cours sur une note, sinon joyeuse, tout du moins originale. Ainsi, vous connaissez tous le fameux proverbe anglais : « une pomme par jour éloigne le médecin ». Churchill, lui, ajoutait : « À condition de bien viser ! ». Sur ce, bonne journée à tous !
Quelques timides sourires parcoururent l’amphithéâtre.
— Il est quand même plutôt sympa, pour un prof ! glissa un étudiant à sa voisine.
— C’est surtout une pointure ; il paraît qu’en TD, il déchire.
Le lieutenant Merlot descendit rejoindre Martin.
— Du nouveau, lieutenant ? interrogea ce dernier l’air inquiet.
C’était maintenant ou jamais.
— Nous préférons rester prudents, monsieur Raynaud, vous savez combien nous avons eu de fausses pistes dans cette affaire, mais un témoin de dernière minute vient de se manifester. Nous vérifions bien sûr d’abord sa crédibilité.
Tout en parlant, Merlot avait volontairement gardé un air austère, presque désagréable. S’il parvenait à déstabiliser le professeur en lui faisant penser qu’il le soupçonnait à nouveau, il marquerait un point.
Avant même que Martin ait le temps d’ouvrir la bouche, il conclut :
— Je voulais juste vous signaler ce nouvel élément, je ne manquerai pas de vous tenir informé. Surtout si, au lieu d’être classée, l’affaire venait à rebondir.
Prochain épisode dans notre édition du 1er février
Avec la collaboration de
Article suivant
#1 Un professeur consciencieux
#3 Une leçon d'anatomie
#1 Un professeur consciencieux
#4 L’œsophage dans tous ses états
#2 Un crime parfait ?
#5 Une preuve évidente
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série