Sous les yeux

#1 Un professeur consciencieux

Publié le 11/01/2018
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Crédit photo : DR

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Il était presque vingt-et-une heures lorsque Martin quitta l’université pour rentrer chez lui. Il avait pris son temps, comme chaque semaine, pour peaufiner son cours d’anatomie du lendemain. Martin aimait les choses bien faites. Des cours clairs, minutés, avec un temps prévu pour les questions et le souci d’y associer toujours du concret et des anecdotes, histoire de marquer les esprits, tout cela dans la bonne humeur. Martin avait toujours eu le sens de la pédagogie.

Il tourna machinalement la clé dans la serrure de l’entrée et ouvrit la porte sur une maison parfaitement silencieuse. Tandis qu’il ôtait son pardessus, il avisa son téléphone portable sur le petit guéridon. Il l’avait oublié ce matin, trop pressé de partir retrouver son travail, ses recherches, ses étudiants, ses collègues, son université. Sa vie.

Six ans déjà qu’il vivait seul, s’accommodant à merveille de ce nouveau « célibat » – il faisait attention à ne pas dire « veuvage » –, qu’il n’avait certes pas vraiment prémédité, mais qui, tout compte fait, lui convenait très bien.

Il aperçut vaguement l’enveloppe clignoter sur l’écran de son portable, signe qu’il avait au moins un message. Mais Martin détestait faire les choses dans le désordre. Un brin rigide, oui, il le reconnaissait. Carrément toqué, auraient dit les mauvaises langues, comme Mathilde par exemple, sa douce Mathilde qu’il avait fini par exaspérer avec ses maniaqueries.

Mais Mathilde n’était plus là. Partie. Envolée.

Toujours est-il que Martin se prépara rapidement un plateau-repas et s’installa confortablement devant Dexter, la série du soir qu’il ne manquait jamais. Sa messagerie attendrait bien la fin de l’épisode. En plus, ce soir, la suite des aventures du célèbre tueur en série semblait prendre un tournant inattendu. Mais Dexter n’était pas homme à se faire prendre, ça non, il allait sûrement trouver un énième subterfuge pour s’en sortir blanc comme neige ! C’est fou tout ce qu’on pouvait trouver aujourd’hui comme idées dans la multitude de séries policières qui avaient envahi le petit écran. Et quand, en plus, on avait comme Martin quelque connaissance en médecine, on pouvait à coup sûr commettre le crime parfait…

L’épisode terminé, Martin se dirigea machinalement vers la salle de bains. Il attrapa en passant son téléphone sur le guéridon, activa la fonction haut-parleur et écouta sa messagerie :

« Monsieur Raynaud, lieutenant Merlot à l’appareil. Je n’ai pas de très bonnes nouvelles. Comme vous le savez, nous avons enquêté dans toutes les directions, exploré toutes les pistes, six longues années d’investigations pour arriver à la conclusion qu’on n’a malheureusement pas avancé d’un pouce dans la disparition de votre femme. Vous me connaissez, monsieur Raynaud, je suis tenace et je reste convaincu qu’il y a forcément quelque chose, un élément aussi infime soit-il, qui nous a échappé. Seulement voilà, le procureur, lui, n’y croit plus, et il a décidé de clore le dossier. J’en suis vraiment désolé, et je peux vous assurer que j’ai fait le maximum pour l’en dissuader, mais lui aussi est têtu, une vraie mule si vous voulez mon avis. En tout cas, n’hésitez pas à m’appeler, je reste à votre disposition. À très bientôt. »

Martin éteignit son portable en souriant.

Quel abruti, ce flic, murmura-t-il.


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Prochain épisode dans notre édition du 18 janvierr


 

Céline Santran

Source : Le Quotidien du médecin: 9630