Par Jeanne Mazabraud
Le souffle court, la démarche gauche, Francis K. s’avança dans le hall où stationnaient policiers, médecins, infirmiers, sans compter la veuve et son inséparable avocat. Il s’arrêta bras ballants et regard perdu tandis que, faisant volte-face vers l’entrée, la majorité de cette assemblée hétéroclite s’exclamait en chœur : « Francis ! Où étiez-vous donc passé ? » Deux malabars en tenue s’étaient prestement positionnés près de la porte, prêts à dégainer.
Soudain Jacky, qui n’avait plus émis de lamentations depuis quinze bonnes minutes, fonça sans prévenir sur Francis K., bras tendus : « Francky, darling ! C’est si gentil d’être venu. Je savais que je pouvais compter sur toi. » Sans plus de façon, la veuve s’écroula sur l’épaule rebondie de l’obèse, dont le sourire gêné n’échappa à personne. Surtout pas à Georges ni à John qui échangèrent des regards stupéfaits. Jacky et Francis K. se connaissaient donc ? Pouvait-on imaginer une relation entre deux êtres aussi dissemblables ? La belle et énergique quatrième épouse de Dean B. et le somnolent sexagénaire au statut social flou, complices d’un crime passionnel ? D’un rapide échange de regards, les deux médecins convinrent de ne pas s’emballer. Il fallait par-dessus tout raison garder. S’en tenir aux faits.
Les effusions de Jacky se calmèrent, son lawyer ayant pris l’initiative de lui faire lâcher prise. Elle accepta de s’asseoir dans la salle d’attente.
Francis K., libéré et soulagé, se soumit sans protester aux questions. Oui, reconnut-il avec un grand naturel, il s’était éveillé vers trois heures du matin. Oui, il s’était débranché, mais c’était pour venir en aide au jeune Alex G. qu’il voyait errer dans le couloir, sans doute atteint d’une crise de somnambulisme. Il ne connaissait pas plus que ça le jeune homme, mais ils avaient été voisins de chambre à deux ou trois reprises au cours de sleep tests. Le regard vide, « comme perdu », de ce gamin « sans défense » l’avait ému. Maladroitement, il le reconnaissait volontiers, il avait, cette nuit-là, tenté d’arrêter la marche du jeune homme et essayé de le remettre au lit. C’est alors qu’il avait fait une chute. Alex G. s’était éveillé pour de bon, en sursaut, paniqué. Après, après… Francis K. avait un trou de mémoire. S’était-il évanoui, tombant en syncope, ou – comment disait-on déjà ? –, avait-il eu une crise de cataplexie, mou comme une chiffe sur le carrelage ? Toujours est-il que lorsqu’il avait retrouvé ses esprits, Alex G. avait disparu, ce que corroborait le témoignage du policier en faction dans le lobby.
Georges insista : pourquoi ne pas avoir donné l’alerte ? Il était aisé de sonner le technicien. Habitué des lieux, Francis K. connaissait les procédures que l’on rappelait de toute façon à chaque patient à chacun des tests, ainsi que l’exigeait le règlement. C’est le moment que choisit l’obèse pour tomber en brusque somnolence. Simulation ? Georges interrogea John du regard. Le sleepdoctor fit un signe de dénégation. Il fallait prendre le symptôme au sérieux.
C’est alors que Jacky réapparut, toutefois sans la théâtralité qui avait jusqu’alors caractérisé ses prestations. Digne, presque humble, la veuve, sans doute conseillée par son avocat, sollicita la parole. « Laissez-moi vous expliquer. » Puis, interloquée, découvrant Francis K. avachi dans le sommeil : « Mais… Qu’arrive-t-il à mon grand frère ? »
Avec la collaboration de

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