Seul sous le regard des étoiles, je m’acharnais à un massage cardiaque sur le corps de Yuuni depuis de longues minutes. Dans mon dos, les coups de feu s’estompèrent et je n’entendais plus que le bruit de mon souffle et celui de mes paumes pressées contre sa poitrine. Ne pars pas, vieil homme ! Épuisé et en sueur, je sentais le désespoir me gagner quand l’idée s’imposa à moi : Yuuni m’avait dit qu’il utilisait la fréquence de ses pas pour se guider dans le monde des esprits… Fallait-il que je reproduise ce rythme, son rythme pour le rappeler ? Je n’avais pas le droit à l’erreur. Science ou chamanisme ?
Je hurlai pour exorciser mon indécision puis, tout à ma folie, cessai d’assurer la ventilation et repris mon massage en reproduisant la fréquence de pas du chaman telle que je me la remémorais de nos courses partagées. J’imaginai ses pas effleurant le sol, son allure aérienne… Haletant dans les ténèbres, je finis par être happé par cette vision. Bercé par le froid, je flottais dans le néant, le rythme comme seul point d’ancrage… J’ouvris les yeux. J’étais toujours penché sur Yuuni, mais plusieurs membres de la tribu nous entouraient désormais. Depuis combien de temps ? Soudain, le corps du vieil homme tressauta sous mes mains : il respirait. Son cœur était reparti.
L’attaque des pillards avait fait d’énormes dégâts, mais par miracle on ne déplorait aucune victime. Yuuni me reçut dans sa yourte quelques heures après son réveil. « Merci Khariin Khun, sans toi je me serais perdu. Les esprits m’avaient confié que ta venue serait bénéfique : ils ne se trompent jamais. Ce soir je repartirai finir ce que j’ai commencé. » Sans me laisser le temps de répondre, il poursuivit en me tendant les électrodes du holter : « Cette fois-ci… sans ton objet. D’accord ? »
Encore sous le choc des événements de la nuit, je renonçai à tenter de dissuader le chaman de son entreprise et, le soir venu, me retrouvai dehors à veiller et chanter avec Chuluun et les siens. Cette fois, aucun incident ne vint troubler la course du chaman et Yuuni nous revint, le visage terriblement marqué par l’épreuve. Pendant les jours qui suivirent, il fut incapable de quitter le lit. Je n’eus malheureusement plus d’occasions de m’entretenir avec le chaman. Il était déjà temps pour moi de repartir.
Mon retour au siège de World of running fut marqué par la colère de Jean-Paul : « Tu n’aurais pas pu donner des nouvelles ? On t’imaginait déjà mort, victime de la secte Braga ! » J’avais complètement oublié cette histoire de secte. Je jetai un œil à l’ouvrage qui avait alarmé Jean-Paul : un manuel de propagande communiste des années 1980. Je le rassurai en lui disant que j’allais bien et qu’il aurait bientôt son reportage.
J’étais parti en Mongolie pour résoudre une énigme physiologique et je revenais sans preuve irréfutable de la « course en état d’arrêt cardiaque ». Cela m’importait peu, et peut-être était-ce mieux ainsi. Chuluun m’avait tacitement chargé de la mission de braquer l’attention et étendre l’influence de la société moderne sur les Koman, mais Yuuni ne m’avait-il pas démontré que la richesse spirituelle de son peuple était aussi unique qu’inestimable ? Je me devais de rendre justice aux deux hommes, et mon reportage puiserait son souffle dans la beauté sauvage de la taïga, dans les ombres du monde invisible et dans la force d’un peuple millénaire à la croisée des chemins entre traditions et modernité. Saurai-je vous le transmettre ?
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#4 La course
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