Deux ans après l’adoption de la loi, les IA médicales étaient un succès. Le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous avait été drastiquement réduit, Benoît avait plus de temps pour s’occuper de ses patients les plus complexes, et il avait même pu prendre une semaine de vacances avec sa femme, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des années.
Il regrettait cependant de ne plus voir certains de ses patients, des réguliers avec qui il avait toujours entretenu une relation proche, au-delà du simple contact patient-médecin. Michel, qui lui demandait invariablement des nouvelles de la jeunesse, et qui était comme un philtre de jouvence pour ses presque cinquante ans. Mais aussi Marthe et Paul-Henri, qui chicanaient pendant toutes ses visites, elle prétendant qu’elle convolerait bien avec le médecin, lui répondant qu’il apprécierait bien un peu de tranquillité, jusqu’à ce qu’ils finissent par se souvenir qu’ils s’aiment et qu’ils chassent gentiment Benoît de leur petite maison.
Il ne les voyait presque plus : Michel avait été le premier de ses patients à utiliser un logiciel pour remplacer les visites de routine, suivi de près par Marthe et Paul-Henri… Seule Joséphine, qui lui préparait toujours un café et une boîte d’œufs de son poulailler, refusait absolument de tirer profit de la loi : sa maison était en zone blanche, elle ne savait pas utiliser un ordinateur et il était hors de question que son médecin mange des œufs vendus en supermarché !
— Benoît, ici !
Tiré de ses pensées par la voix de Judith, Benoît l’aperçut lui faisant signe depuis une table du café où ils avaient prévu de dîner. Le lendemain, ils participaient ensemble à un débat radio marquant le deuxième anniversaire de la loi. Au programme : une analyse des impacts de la loi, une réflexion sur les changements à venir, et en dernière partie…
— C’est maintenant l’heure d’écouter nos auditeurs ! Tout d’abord, nous avons un appel de Solange, 45 ans, qui habite dans le Jura. Bonjour Solange, comment allez-vous ?
Les auditeurs défilèrent rapidement. L’un voulait savoir si les IA pourraient un jour remplacer totalement les médecins, l’autre demanda à Judith si elle pensait qu’elle arriverait un jour à rééquilibrer les bases de données, une jeune fille expliqua qu’elle avait finalement choisi de ne pas faire médecine et de se tourner vers des études d’infirmière : « Si je n’ai pas besoin de faire dix ans d’études pour devenir généraliste, déclara-t-elle, je préfère ne pas m’embêter et commencer à soigner les gens plus vite. »
Benoît fit une petite grimace à cette annonce, car beaucoup de médecins craignaient en effet d’être remplacés par de simples aides-soignants qui réaliseraient les manipulations de base nécessaires aux logiciels. Mais Fabian, un psychologue et biostatisticien opposé à la robotisation complète de la médecine qui participait au débat avec eux, profita de la question pour rappeler que la présence d’un professionnel de santé restait obligatoire lors d’une visite via un logiciel, que la plupart des applications qui proposaient des services sur smartphone étaient inadaptées, et qu’il restait recommandé de prendre rendez-vous chez son médecin généraliste au moins une fois par an.
— Enfin, voici notre dernier auditeur de la matinée. Il s’agit d’un petit garçon, Jonathan, qui a six ans et qui habite dans le Val d’Oise ! Bonjour Jonathan, comment vas-tu ?
Une respiration sifflante se fit entendre à travers les grésillements du téléphone, puis une petite voix faible se fit entendre :
— Je vais mourir.
Prochain épisode dans notre édition du 18 octobre
Maïa Acklins écrit depuis 2015 sur Short Edition et depuis 2010 dans ses cahiers de brouillon. Aujourd’hui étudiante en Grande Ecole de commerce, elle aimerait bien réussir à terminer un roman... un jour.
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