Benoît et Judith attendaient nerveusement dans les couloirs de l’Assemblée Nationale. Lui marchait de long en large comme s’il cherchait à s’enterrer dans le sol ; elle était assise sur une banquette, aussi droite et rigide qu’une statue de marbre.
Les deux médecins n’auraient pas pu être plus différents l’un de l’autre. Benoît exerçait depuis bientôt vingt ans ; Judith n’avait fini ses études que depuis quelques années. Médecin généraliste de campagne, il passait quelques journées par semaine dans sa voiture pour faire des visites à domicile chez certains de ses patients les plus âgés ; chercheuse en médecine, Judith n’avait jamais pu quitter la ville bien longtemps.
Ils ne se seraient probablement jamais rencontrés sans ce projet de loi qui avait fait tant de remous dans l’opinion publique. Lui un fervent soutien du projet, elle plaidant contre, ou du moins pour une version édulcorée, ils s’étaient vus pour la première fois sur un plateau télévisé, pour un débat des plus animés. Chacun était venu avec une foule d’arguments, de données, et d’ardeur.
Dire que le projet avait divisé la communauté médicale était un euphémisme. C’était un vrai dilemme de société que toute la France s’était posé. Fallait-il autoriser des algorithmes et des intelligences artificielles à remplacer les professionnels de santé ?
Des centaines de vidéos avaient tourné sur les réseaux sociaux, au contenu impressionnant. Analyse des expressions faciales, questions de plus en plus précises proposées par l’algorithme, accès facilité au dossier médical du patient, prévention de rechute pour certains cas à risque… Les IA médicales développées avaient des taux de réussite parfois supérieurs à ceux de la moyenne des médecins quand il s’agissait de faire un diagnostic typique, et leur utilisation coûterait beaucoup moins cher qu’une visite chez le généraliste. Il était facile de comprendre l’enthousiasme d’une grande partie de la population face à cette perspective.
Pour Benoît comme pour beaucoup d’autres médecins, c’était une aubaine. Depuis qu’un de ses collègues dans un village voisin avait pris sa retraite sans personne pour le remplacer, ses tournées de visites à domicile s’étaient faites plus longues et fatigantes. Avec ces logiciels, inutile de prendre un rendez-vous d’une heure pour des visites de routine, il pourrait se concentrer sur ses patients les plus compliqués.
Mais d’autres voix s’étaient élevées, et notamment celle de Judith. Ses recherches visaient à analyser des approches médicales plus efficaces, qui tiennent compte des différences homme-femme et de celles entre ethnies – différences que les bases de données actuelles ne permettent pas aux IA médicales de prendre en considération.
Le vote était aujourd’hui, et ils attendaient, nerveusement, que la décision des députés tombe. Le temps semblait s’étirer sans fin autour d’eux jusqu’à ce que, tout à coup, leurs téléphones se mettent à vibrer avec frénésie.
Dès qu’elle sentit les vibrations, Judith se jeta sur son sac pour le récupérer. Elle s’y attendait : ils avaient beau se tenir au sein même de l’Assemblée Nationale, les journaux étaient toujours les premiers à relayer les informations. L’écran croulait de notifications, ses yeux scannèrent les gros titres et elle sentit son cœur s’arrêter de battre pendant un instant.
— Alors ? Demanda Benoît, impatient.
— Tu peux te réjouir, soupira la jeune femme en tournant l’écran vers lui.
Prochain épisode dans notre édition du 11 octobre
Maïa Acklins écrit depuis 2015 sur Short Edition et depuis 2010 dans ses cahiers de brouillon. Aujourd’hui étudiante en Grande Ecole de commerce, elle aimerait bien réussir à terminer un roman… un jour.
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