LE QUOTIDIEN : Vous avez salué la position commune des Ordres sur les délégations de tâches. Elle marque un infléchissement important de la part de l'Ordre des médecins. Comment vous l'expliquez ?
AGNÈS FIRMIN LE BODO : Ce travail inter-Ordres est important. C'est un signal politique pour dire que nous devons apporter collectivement des réponses aux besoins de santé de nos concitoyens. Je vous rappelle que 87 % de la France est considérée en désert médical – sous-doté en généralistes – et que six millions de Français n'ont pas de médecin traitant dont 657 000 patients en ALD. Je salue l'engagement du président de l'Ordre des médecins qui est revenu à la table du Clio [comité de liaison des institutions ordinales] en juillet. S'il l'a fait, c'est parce qu'il y a aussi une prise de conscience de la part des médecins de la nécessité de participer à l'élaboration des réponses à la fois en urgence mais aussi, sur le long terme, sur la place du médecin traitant qui doit rester centrale.
MG France a dénoncé une vente à la découpe de certaines missions des médecins. Voyez-vous là une posture ou une défense corporatiste ?
Les choses sont claires pour le gouvernement : le médecin traitant doit rester la pierre angulaire de notre système de santé. Pour cela, nous devons travailler, avec toutes les professions, à un parcours pleinement coordonné et libérer du temps médical supplémentaire pour répondre aux besoins de santé des Français. C’est le sens de notre action pour mettre fin au numerus clausus, développer les assistants médicaux et les infirmiers en pratique avancée Je crois par ailleurs qu'il nous faut travailler, non pas tant à des transferts de compétences qu'à des élargissements et des enrichissements de compétences.
Comment allez-vous procéder ?
Il y a vingt professions sur lesquelles nous sommes en train de travailler, une par une, en regardant leurs compétences et leurs actes. Nous attendons aussi un rapport de l'Igas sur les infirmiers qui nous permettra d'avancer sur leur décret des compétences. Mais je note que, sans y toucher, on pourrait déjà utiliser davantage leurs compétences actuelles ! Pourquoi les infirmiers libérales peuvent-elles, par exemple, prescrire les pansements mais pas les antiseptiques pour faire leurs soins ? Poser la question c'est déjà y répondre.
Autre exemple : le pédicure-podologue ne peut pas prescrire de chaussures anti-chutes pour une personne âgée. Celle-ci doit prendre un rendez-vous chez le médecin. De la même façon, les pharmaciens ne peuvent toujours pas prescrire les substituts nicotiniques. C'est dans la loi depuis 2018 mais les textes d'applications ne sont jamais parus, nous allons nous y employer. L'idée n'est pas d'éviter une consultation médicale mais de permettre à plusieurs acteurs de prescrire. C'est un vrai travail de dentelle.
Selon le président de l'Ordre des médecins, le transfert d'actes devra se faire par territoire et au cas par cas. Est-ce réaliste ?
Oui, nous devons travailler ensemble avec les professionnels pour trouver des solutions territoire par territoire. C'est bien l'enjeu du Conseil national de la refondation (CNR). Surtout, ce travail destiné à mieux répondre aux besoins de santé des Français doit être mené en lien étroit avec les différentes professions, de façon à construire des protocoles précis. Il y a une liste de cinq ou six pathologies sur lesquelles nous souhaitons travailler prochainement avec les Ordres.
Depuis la loi Bachelot de 2009, on a l'impression d'être dans un processus d'expérimentation permanente en termes de délégations de tâches. Ne faudrait-il pas leur donner un cadre ?
Il en existe déjà un avec les expérimentations au titre de l'article 51 [sur les organisations innovantes, NDLR], qui est beaucoup utilisé pour des nouvelles organisations. Ce n'est pas toujours nécessaire de passer par le budget de la Sécu, des expérimentations peuvent partir directement des territoires. Il y en a une que je trouve particulièrement intéressante, c'est celle, en Bretagne, de la prise en charge en officine de 13 symptômes en suivant un arbre décisionnel. Mais pour toutes ces expérimentations, il est important de toujours bien évaluer avant de généraliser.
Pour autant, le cadre de l'article 51 n'est pas l'alpha et l'oméga de l'expérimentation. Parfois, il faut y aller franco ! Nous avons prévu dans ce PLFSS l'expérimentation de la rédaction des certificats de décès par les infirmières pendant un an. Et si ça fonctionne, nous l'étendrons. Nous allons également expérimenter l'accès direct aux IPA dans le cadre de structures d'exercices coordonnés dans six régions à partir du début de l'année prochaine.
La future convention médicale ne devra-t-elle pas tenir compte des conséquences économiques de tous ces transferts en revalorisant les consultations ?
Les négociations conventionnelles démarrent à peine et la question de la revalorisation de la consultation médicale est bien entendu posée. Mais nous devons dans le même temps apporter de nouvelles réponses aux besoins de santé et d’accès aux soins des Français et préserver notre système de protection sociale basé sur la solidarité. C'est cet équilibre fondé sur les droits et les devoirs qu'il nous faut trouver ensemble.
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