Les journées du Dr E. commençaient toutes de la même façon. Par une barrette de Lexomil avalée avec un verre d’eau. « Beaucoup se mettent à l’alcool », raconte-t-il, l’air de révéler un secret de polichinelle. « Moi, c’était ça. » Malgré son malaise, impossible de s’arrêter. Les anxiolytiques deviennent alors son seul rempart contre la souffrance. Et cela pendant deux ans. Le temps qu’il lui a fallu pour refaire surface. « Chaque matin, aller au cabinet était une torture, je me faisais violence. »
Encore pire que les consultations, les visites : « Je restais dix minutes à bord de ma voiture avant de me décider à y aller ». Mais, une fois à la maison, l’angoisse qui le « prenait aux tripes » précedemment s’arrêtait. Comme par miracle. Il se sentait finalement « bien ». En parler à un psy : pour quoi faire ? « J’y suis allé une fois. Pour me mettre en invalidité. »
« Un autre homme »
L’issue à son problème lui apparaissait comme une évidence : arrêter de travailler, quitter son cabinet. Dans son esprit, du reste, c’était déjà chose faite : « Devant des patients qui font de la résistance, on démissionne, on perd la motivation, on ne sert plus à rien... » Aujourd’hui, âgé de 68 ans, le Dr E. est « un autre homme ». Qui coule des jours heureux, avec sa famille, après avoir pris une retraite anticipée lors d’un départ « en catastrophe » comme il le dit.
Un départ accepté de bon gré, voire souhaité par sa femme et ses deux filles qui, jusqu’alors, étaient « totalement démunies » face à son mal-être. Libéré des médicaments, il repense à cette période noire de sa vie. Au milieu anxiogène dans lequel il baignait à longueur de journées. Au sentiment de deuil à chaque fois qu’un patient qu’il connaissait depuis si longtemps venait à manquer. « Quoi qu’on fasse, nous, les médecins, sommes toujours confrontés à la souffrance, à la mort. » à la solitude aussi. Parmi ses confrères généralistes, aucune oreille bienveillante prête à l’écouter. Le burn out est encore tabou. Celui qui en est victime, « on le prend pour un faible, pour un lâche. »
Le soutien qui lui a fait défaut, il l’a parfois trouvé chez certains patients, pas tous certes, qui « redoublaient de gentillesse quand j’étais fatigué ».
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