LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
RANYA REGRAGUI : Après mes études de médecine et mon internat à Strasbourg, je viens de commencer ma première année de docteure junior, équivalent de la cinquième année d’internat. J’ai passé ma thèse au mois d’octobre et je suis actuellement en stage en périphérique à Colmar. C’est une activité assez variée, avec des journées très intéressantes, aussi bien en salle d’accouchement qu’au bloc.
AMINA YAMGNANE : Quant à moi, je serais plutôt « docteure senior » (rires), j’ai probablement l’âge d’être la mère de Ranya ! Après avoir fait de l’obstétrique hospitalière « de haut vol » pendant des années, j’exerce maintenant exclusivement en ville, dans le cabinet que j’ai créé à Paris. Mais je continue à pratiquer mes accouchements et à avoir une consultation à l’Hôpital américain de Paris, dont j’ai été cheffe de service.
Qu’est-ce qui vous a poussées vers la médecine en général, et vers l’obstétrique en particulier ?
R. R. : En terminale, j’aimais beaucoup de choses, j’étais un peu perdue… Et puis j’ai fait un rêve dans lequel un homme me conseillait de faire médecine, m’assurant que c’était pour moi. J’ai passé la Paces en me disant que si je l’avais du premier coup, c’est que le rêve disait juste. C’est ce qu’il s’est passé. Ensuite, je pensais plutôt m’orienter vers l’ORL, mais j’ai fait un stage en salle d’accouchement que j’ai adoré… Jusqu’à la dernière heure avant le choix des spécialités, j’ai hésité, mais je me suis finalement décidée pour la gynéco-obstétrique en me souvenant de ce stage. Et j’ai choisi de rester à Strasbourg, d’une part parce que la formation y est bonne, et d’autre part parce que les périphériques sont au maximum à 50 minutes en train, il n’y a donc pas besoin de déménager à chaque stage.
A. Y. : Quant à moi, d’après mes parents, j’ai dit que je voulais être médecin dès que j’ai su parler. Je ne saurais pas vraiment dire pourquoi. Je ne sais pas non plus très bien ce qui m’a amenée à choisir la gynécologie. Je me souviens même avoir dit, les yeux dans les yeux, “jamais de la vie” à un vieux gynécologue qui me disait que je devrais choisir cette spécialité… J’étais plutôt partie pour l’anesthésie ou la pédiatrie. J’avais quitté ma Bretagne natale pour faire toutes mes études à Louvain, en Belgique, et au fil des stages, l’obstétrique, avec son panel d’activités, a été une grande révélation : je me suis retrouvée dans des services qui faisaient de la grossesse à haut risque, on faisait de l’imagerie, de la médecine interne, c’était formidable.
La naissance est le seul évènement pour lequel les gens sont heureux d’aller à l’hôpital
Ranya Regragui
En quoi la gynécologie-obstétrique est-elle, selon vous, une belle spécialité ?
R. R. : Pour commencer, je trouve génial qu’il y ait une spécialité dédiée uniquement à la femme, du plus jeune âge à la ménopause et même au-delà. Et c’est une spécialité où il se passe de belles choses : la naissance est tout le même le seul évènement pour lequel les gens sont heureux d’aller à l’hôpital. Par ailleurs, je ne voulais pas m’ennuyer. C’est une activité particulièrement variée, on voit vraiment de tout.
A. Y. : Je voudrais apporter un peu de nuance à ce tableau un peu idéalisé… 17 % des femmes font une dépression du post-partum, ce qui conduit parfois au suicide. Il y a 10 % de prématurés, 300 000 fausses couches… Et 20 % des enfants qu’on fait naître seront maltraités… Certes, avoir un enfant est un heureux évènement mais, pour certains, il y a un prix très élevé, et pour moi, ce qui est particulièrement intéressant dans ma spécialité, c’est de dépister et d’aider les parents pour lesquels cela peut mal se passer.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est de dépister et d’aider les parents pour lesquels cela peut mal se passer
Amina Yamgnane
Comment envisagez-vous, ou avez-vous envisagé, la question de la surspécialisation ?
R. R. : J’étais plutôt partie pour faire de la sénologie, et j’en ai fait pendant six mois. J’ai adoré, mais le contact avec toutes les autres femmes me manquait, ainsi que l’obstétrique en soi. Je pense donc me concentrer sur l’obstétrique, et probablement dans une activité libérale. J’aime l’hôpital et je pense que je vais y rester en début de carrière, mais je ne me vois pas y travailler toute ma vie.
A. Y. : Pour ma part, je me suis assez rapidement retrouvée, notamment à l’hôpital Necker de Paris, dans des maternités de type 3, où l’on accueillait les femmes et les fœtus les plus malades. On faisait des prouesses, c’étaient les premières échographies véritablement performantes, c’était génial, il y avait un côté élitiste, on parvenait à faire accoucher des femmes greffées du foie, du rein ou du cœur… Mais je me rendais compte que bien qu’on leur rende des services incroyables, beaucoup de ces femmes étaient caillassées par leur parcours gynécologique. C’est pour cela que j’en suis venue à une pratique différente aujourd'hui.
Il est vital de parler des violences gynécologiques, de les dénoncer, mais aborder ce sujet sous l’angle de la violence nous empêche d’avancer
Amina Yamgnane
Dans le débat public, on parle souvent de ce qu’on appelle les « violences gynécologiques ». Comment vous positionnez-vous par rapport à cette question ?
R. R. : Je pense tout d’abord qu’il faut écouter les dames qui en parlent : des choses qui peuvent nous paraître anodines, de simples remarques, peuvent représenter pour elles de véritables violences, et il nous faut donc être très vigilants. Mais il me semble qu’on a dépassé l’ère de la médecine paternaliste : nous sommes sensibilisés à ces questions dès notre premier jour d’internat. Et, j’essaie de faire de mon mieux car je sais bien que dans un contexte d’urgence, on n’a pas toujours le temps d’expliquer tout ce qu’il se passe. Mais de manière générale, je pense qu’il est très positif que des femmes racontent ce qu’elles ont vécu, et que ce sujet fasse l’objet d’un débat public.
A. Y. : C’est vrai qu’il y a un écart générationnel : pour nous, ce n’était pas un sujet, alors que les jeunes médecins qui viennent chez moi ont été formés à ces questions, même si c’est encore de manière trop peu performante et trop dépendante de l’appréciation de tel ou tel enseignant. Il faudrait créer une vraie chaire de bienveillance et de bientraitance. Tous les internes de gynéco ont un cours carré sur la pré-éclampsie, mais pas sur la bientraitance. Je remarque en revanche que le terme de « violences » est problématique, car il suppose une intentionnalité. Alors qu’en dehors de quelques brebis galeuses, aucun gynécologue ne se lève le matin avec l’intention de violenter des femmes. Les sujets dont on parle sont liés à la méconnaissance, à la banalisation de certaines pratiques, ou même au non-respect de certaines recommandations cliniques… Il est vital d’en parler, de le dénoncer, mais l’aborder sous l’angle de la violence nous empêche d’avancer.
Comment anticipez-vous l’avenir de la spécialité ?
R. R. : Je suis encore dans le présent et j’ai du mal à me projeter, mais je pense que nous allons progresser sur certains dépistages, et qu’on pourrait notamment, à l’avenir, dépister davantage de cancers, par exemple sur l’ovaire. Par ailleurs, nous allons de plus en plus avoir recours à l’intelligence artificielle pour nous aider en échographie, par exemple. Mais je pense que l’obstétrique restera une spécialité assez manuelle, et que les accouchements notamment ne seront pas forcément très affectés par les évolutions technologiques.
A. Y. : Il y a d’abord une question de démographie : la moitié des gynécologues actuellement en activité seront à la retraite dans dix ans, et comme on met douze ans pour les former, les femmes vont avoir un problème d’accès aux soins. Les autorités sanitaires n’auront donc pas d’autre choix que de faire monter en compétence d’autres professions, notamment les infirmières et les sages-femmes, ainsi que de s’appuyer sur l’auto-consultation, l’auto-dépistage… Je pense par ailleurs, comme Ranya, que l’intelligence artificielle va nous aider en consultation, notamment pour l’anamnèse, l’orientation diagnostique, les choix de première intention, de deuxième intention… Il y aura moins d’erreurs, et notre plus-value en tant que soignants sera dans l’accompagnement.
Que diriez-vous à un externe qui hésiterait à choisir l’obstétrique ? L’encourageriez-vous ?
R. R. : Je lui dirais de le faire si ça lui plaît ! On avait essayé de me dissuader en me disant que je ne dormirais pas beaucoup, que j’aurais beaucoup de gardes, que c’était la seule spécialité où l’on voyait des gens s’écrouler… Cela m’avait refroidie, mais j’avais eu un coup de cœur et j’ai bien fait de continuer. En revanche, il y a des caractères qui sont plus ou moins faits pour cette spécialité. Si on a du mal à supporter le stress, par exemple, il vaut mieux ne pas faire d’obstétrique. C’est pour cela que je n’essaierais de convaincre personne !
A. Y. : Je pense effectivement qu’il ne faut pas essayer de convaincre les gens. C’est une spécialité tellement exigeante et éprouvante sur le plan physique, sur le plan du stress, qu’il faut en avoir vraiment envie. En revanche, la personne qui en a envie, je vais l’aider à éviter les pièges, à s’organiser, car c’est une spécialité magnifique quand on a les dispositions pour !
Amina Yamgnane
2000 : diplôme de gynécologie-obstétrique à l’université de Louvain
2004 : PH à la maternité de l’hôpital Necker à Paris
2016 : cheffe de service de la maternité de l’Hôpital américain de Paris
2016 : création de la Clinique des femmes à Paris
Ranya Regragui
2013 : début des études de médecine à la faculté de Strasbourg
2019 : interne en gynécologie-obstétrique à Strasbourg
2023 : thèse
2024 : docteure junior
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