Quelques tomates à peine mûres accompagnées d’une olive noire, un cube de poisson pané mal décongelé en guise de plat principal, et pour finir une pomme et quatre yaourts en dessert. Voilà le plateau-repas d'une interne en gériatrie après 24 heures de garde.
Partagée sur X (Twitter), la photo de ce dîner peu ragoûtant, potentiellement composé des restes du service du midi, a suscité de nombreuses réactions parmi les médecins et les internes. Plusieurs d'entre eux ont partagé des expériences plus ou moins similaires, illustrant le contraste important entre les différents internats de l’hexagone.
Plateaux-repas réduits à l’essentiel
Dans les salles de garde — sas de décompression dédiés aux internes et aux praticiens hospitaliers — la qualité des repas n’est pas toujours au rendez-vous. Si certains internats sont dotés de cuisines équipées avec des chefs expérimentés aux fourneaux, d’autres établissements proposent des plateaux-repas* réduits à l’essentiel. Avec des plats peu variés, mal assaisonnés et parfois même préemballés, comme en témoigne Lucile**, interne au sein d’une antenne d’un centre hospitalier universitaire (CHU) d’une ville du sud de la France.
« Le déjeuner est passable, bien que souvent redondant, mais le dîner, c’est vraiment la loterie, confie l’étudiante. La plupart du temps, les repas manquent de goût et ne sont pas équilibrés. Ils sont toujours servis dans des barquettes en plastique. Pour avoir du pain, il faut aller en chercher dans un autre service, car il n’y en a pas ici. Je me considère chanceuse de ne pas être encore tombée malade, poursuit l’interne avec ironie. Une amie en stage dans un autre hôpital a dû affronter toute une nuit de garde avec des douleurs et des nausées après avoir mangé un steak pas frais à la cantine. Les surprises peuvent arriver vite, je ne suis encore qu’en première année d’internat… »
Pour se remonter le moral après une longue garde et « quand elle n’est pas à découvert », Lucile se fait parfois plaisir en commandant sa nourriture via une application de livraison. « Clairement, après avoir vu certains plateaux-repas, je préfère commander, car non seulement le goût laisse souvent à désirer, mais les plateaux manquent parfois de quantité. Ce n’est cependant pas idéal si je suis appelée en urgence par un patient, et en plus, c’est à mes frais ! »
« Quand les chefs commandent Uber eats, c’est la fête ! »
Soumis aux mêmes plateaux insipides lors de week-ends ou de gardes de nuit ; certains chefs de service optent pour la livraison, avec la tradition d’en faire profiter leurs cadets. « Cela fait super plaisir de manger sushis, pizzas ou même burgers au lieu du vieux plateau fade prévu par l’hôpital, reconnaît Tristan*, interne d’anésthésie réanimation à Paris. Quand les chefs commandent c’est un peu la fête ! »
À tel point que l’une des précieuses informations à connaître avant de choisir son stage est de vérifier si le chef de service est du genre généreux ou radin. « Qu’on soit externes ou internes, on essaie toujours de savoir quel chef commande et quel chef ne commande pas. En général, ne pas commander est mal vu, mais globalement 90 % des chefs le font », s’amuse Tristan.
D’ailleurs, dans certains hôpitaux, comme celui de la Pitié Salpêtrière (AP-HP), où la cantine et la salle de garde n’ont pas spécialement bonne réputation, un ballet de livreurs Uber Eats se tient jour et nuit.
« Lariboisière, c’est la Rolls, on y mange comme des rois »
Heureusement, certains internats offrent une nourriture bien plus convenable, comme à l’hôpital de Montpellier, ainsi qu’à l’hôpital Beaujon (Clichy), Argenteuil, ou encore Saint-Louis à Paris, où les repas sont de meilleure qualité et plus variés.
À Lariboisière, une des dernières salles de garde où le service se fait encore à table, « c’est carrément la Rolls des internats, on y mange comme des rois », assure Guillaume Bailly, interne en cardiologie et président de l’ISNI.
« Je me souviens que chaque repas était un véritable festin ambulant, absolument incroyable. Au début, ils apportaient les frites et les légumes, puis arrivaient le bœuf et le poisson. Juste au moment où on pensait en avoir fini, ils nous servaient la salade, ce qui permettait de déculpabiliser un peu. Mais ensuite, ils ramenaient le fromage, non pas un petit morceau d’emmental, mais un plateau entier avec camembert, comté, morbier… ! Quand on pensait que le supplice était enfin terminé, ils apportaient les desserts : fruits, pâtisseries ! Et quand on croyait que c'était fini, ils arrivaient avec des plateaux remplis de bonbons et de chocolats. C’était comme ça tous les jours ! »
À raison de trois kilos par semestre, le jeune praticien a pris six kilos au total. « Ça me demandait un entraînement mental à la fin pour refuser les plats et dire “non aujourd’hui je prends seulement un steak, des haricots verts et un yaourt ».
Mais le jeune praticien tempère : « Ça reste rare, la plupart du temps, on n’a pas le temps de se poser et on prend juste un sandwich ! »
Leçons à en tirer ? Pour bien manger mieux vaut bien se renseigner ! Reste aussi l’option préparer sa propre nourriture. « Durant les gardes de 24 heures, beaucoup d’internes apportent leur repas pour au moins une partie de la journée, indique Tristan. Les commandes faites par les chefs se font rarement le midi et plutôt le soir, donc il faut souvent se contenter des plateaux-repas de l’hôpital… » Autant donc prévoir son propre frichti.
*Ces plateaux-repas font partie du contrat de travail de l’interne et sont attribuables à des avantages en nature qui apparaissent sur les impôts. Pour en profiter, les internes doivent payer une cotisation qui varie en général entre 20 et 40 euros.
**Les prénoms ont été modifiés
Quid des externes ? N'ayant la plupart du temps pas accès aux salles de garde (internat), les étudiants de premier et second cycles mangent soit au Crous, soit à la cantine de l'hôpital public. Dans ce dernier cas, « c'est souvent un peu cher et de qualité variable, témoigne Maxime, étudiant en sixième année à Paris. Il y a des cantines passables, et d'autres très qualitatives, comme à Georges Pompidou, où tout le monde veut aller en stage tant le choix est varié ! » Dans ces cantines hospitalières, le « dogme du vendredi = poisson » est scrupuleusement respecté. En ce qui concerne les cantines des hôpitaux privés (lucratifs ou non) elles sont souvent plus réputées. « La nourriture est variée, avec plus de goût et des desserts », ajoute Maxime. Le Saint Graal reste de se faire inviter (ou de s’infiltrer) dans les salles de gardes où la cuisine est renommée, comme à Lariboisière. « Quand on finit très tard vers 15 ou 16 heures et que l’équipe de l’économat [internes qui gèrent la salle, NDLR] n’est plus là pour vérifier si nous avons bien payé notre cotisation, on essaie d’y manger », confesse Maxime. Pas vu, pas pris !
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