Le 25 mai 2021 naissait une espérance. Ce jour-là, un plan d'action destiné à prévenir les risques psychosociaux ainsi que les violences et les maltraitances chez les étudiants en santé était signé par l'ensemble des partenaires (doyens de faculté, syndicats d'internes, chefs d'établissements…).
Fruit de longues discussions avec l'ensemble des parties prenantes, ce plan ambitieux prévoyait la mise en place d'un dispositif pour faciliter les signalements des étudiants confrontés à des situations de violence, de maltraitance ou de harcèlement. Le texte introduisait aussi le retrait de l'agrément de stage de façon temporaire ou définitive en cas de violence avérée ou de non-respect disproportionné du temps de travail. Dans le même temps, le ministère de la Santé et la conférence des doyens affichaient leur tolérance zéro vis-à-vis des violences commises à l'encontre d'étudiants.
Double peine
Deux ans et demi plus tard, où en sommes-nous ? À la lumière de l'actualité, force est de constater que les faits de harcèlement moral et sexuel sont encore monnaie courante dans le secteur hospitalier. Sur les 65 % de femmes en études de médecine, 80 à 90 % d’entre elles ont déclaré avoir déjà été victimes de sexisme, selon les chiffres de l'Intersyndicale nationale des internes (Isni).
Récemment, deux professeurs du service de neurochirurgie du CHU de Rennes – tous deux chefs de service – ont été visés par une enquête. Au total, 14 internes seraient potentiellement victimes. L'Isni, en lien avec le syndicat local de Rennes, a d'ailleurs déposé plainte contre les deux praticiens.
Invité le 7 novembre à participer à une table ronde sur la lutte contre les risques psychosociaux et les violences sexistes et sexuelles organisée par la conférence des doyens, le président du syndicat, Guillaume Bailly, a mis les pieds dans le plat : « En tant que syndicat d'internes, nous sommes souvent en première ligne et il nous arrive régulièrement de devoir accompagner des plaintes à l'ordinal ou au pénal. Dans ces moments-là, nous aurions besoin du soutien des doyens et des CHU ! »
Dans 50 % des cas, estime l'Isni, les étudiants victimes de violences sexuelles commises par des supérieurs hiérarchiques se heurtent à des murs lorsqu'ils entament des démarches auprès de leur CHU. « Bien souvent, on leur répond que pour démarrer une enquête administrative, il faut d'abord porter plainte au pénal ; c'est un peu la double peine », se désole Guillaume Bailly. Chargée de mission sur la lutte contre les discriminations relatives aux violences sexistes et sexuelles au sein de l'Isnar-IMG (syndicat des internes de médecine générale), Louise Wetterwald regrette « que les cellules de signalement soient encore peu fonctionnelles et méconnues ».
Collusion
Autre problème soulevé par l'interne de médecine générale, la possible collusion entre les agresseurs et les membres de ces cellules. « En médecine générale, il arrive que les directeurs ou les professeurs des départements de médecine générale soient proches des maîtres de stage des universités qui sont les agresseurs présumés. Cela dissuade totalement les victimes de se signaler », fait remarquer Louise Wetterwald, qui invite les doyens à « rassurer les étudiants et adopter une communication claire confirmant leur totale protection aux victimes ».
« J'entends ce que vous dites, a rétorqué la Pr Isabelle Laffont, doyenne de la faculté de médecine Montpellier-Nîmes. Il est effectivement indispensable de briser ce silence. En revanche, les agressions au sein du milieu hospitalier, je les découvre. Au sein de notre faculté, nous ne relevons quasiment que des histoires entre étudiants et très peu impliquent des supérieurs hiérarchiques (...). Mais c'est une certitude, il y a très clairement une sous-déclaration des agressions ! »
Face à ce que beaucoup de jeunes considèrent comme un échec, les syndicats ont exhorté les doyens à ne pas hésiter « à faire sauter les agréments de stage ». « Un PU-PH qui reste en poste dix ans et qui harcèle une cinquantaine de personnes, c'est autant de médecins qui ne s'installeront pas », a averti Guillaume Bailly, qui s'est montré favorable à la mise en place de formations de management auprès des étudiants et des praticiens en exercice. Jérémy Darenne, président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), a appelé les parties prenantes à « cesser de se renvoyer constamment la balle ». « L'institution nous fait très souvent remarquer que les violences s'opèrent le plus souvent en milieu étudiant. De notre côté, les enquêtes montrent que de nombreuses agressions sont le fait de chefs de service ou de praticiens encadrants. »
Attentif aux interventions, le président des doyens, le Pr Benoît Veber, l'a dit : il poursuivra la lutte. Pour concrétiser cet engagement, une évaluation des actions des commissions éthiques et déontologiques des UFR – structures créées dans le cadre du plan national d'actions contre les violences sexistes et sexuelles – sera présentée en 2024 lors de la prochaine conférence, qui sera placée sous le signe de la « coconstruction ». Suffisant ?
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