Faire cours pour une poignée d’étudiants, c’est trop peu pour le doyen honoraire de la faculté de médecine de Bordeaux. « Sur nos 1400 étudiants en PASS, on se retrouve avec à peine 15 étudiants dans l’amphi au fil des semaines. On a estimé que le ratio n’était pas bon », résume Pierre Dubus. Résultat : plus aucun cours magistral (CM) n’est réalisé en présentiel en 1re année. Les enseignants ont accès à un studio pour filmer leurs cours. « On leur a imposé une trame sous forme de capsule avec des résumés du cours. Les enregistrements sont de qualité et disponibles à tout moment », assure le doyen.
D’après un rapport de 2024 l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), 41 % des universités proposent en licence LAS une unité d’enseignement (UE) santé exclusivement à distance, le visionnage des capsules étant le principal mode d’apprentissage.
Mais dès lors que le pli est pris, difficile de faire revenir les étudiants à la faculté en 2e et 3e années. Ainsi, à l’université de Rouen, les CM ont entièrement disparu en externat. En 4e année, les amphis étaient tout bonnement vides.
Abonnés absents
Pendant sa 2e année à Toulouse, Julie n’a assisté à aucun CM : « La charge de travail est telle que ça semble une perte de temps : un cours de deux heures peut se travailler à la BU plus rapidement à tête reposée ». Pour cela, l’étudiante s’appuie sur les prises de notes de ses camarades de promo. « C’est ce qu’on appelle les ronéos. Un binôme est désigné pour suivre le cours et le transmettre aux autres dans un délai de deux jours en respectant une charte et un règlement. Ça fonctionne très bien. »
Enseignants comme étudiants s’accordent à dire que cette nouvelle méthodologie n’a pas d’impact sur la réussite
Bien rodé, ce système est utilisé dans de nombreuses facultés. À Marseille, la majorité des étudiants en 2e année n’assistent jamais aux cours, préférant se référer aux ronéos voire aux diaporamas des enseignants. En 3e année et vice-doyenne étudiante à Montpellier (où les CM sont toujours accessibles), Marianne Kermarc dresse le même constat : « Je ne suis pas allée du tout en cours en 1e année et forcément, ça a joué sur la 2e. En 3e année, on devait être une quarantaine à assister aux CM sur les 270 étudiants de ma promotion ». La jeune femme le reconnaît : « Cette situation génère des conflits avec les enseignants qui ont de moins en moins envie de venir. Ils ne comprennent pas qu’on puisse apprendre à distance, pour eux, c’est forcément bénéfique d’assister au cours. »
Désarroi des profs et doyens
« On est décontenancé », confirme le Pr Benoît Veber. À Rouen, le doyen a pourtant tenté de déjouer les stratégies d’évitement des étudiants. Les cours magistraux du premier cycle sont rediffusés uniquement sur un créneau déterminé, juste avant les examens. La fac a également mis en place un apprentissage par problème, un format d’apprentissage actif et en petit groupe utilisé pour faire réfléchir les étudiants sur une situation clinique. Mais au fil des années, les absences se sont multipliées. « On sait qu’il faut mixer les pédagogies, qu’on doit limiter les CM et que le tout numérique n’est pas une pédagogie de qualité mais on ne sait plus comment les accrocher, déplore le Pr Veber. On n’arrive plus à transmettre nos expertises et finalement, on a l’impression de les abandonner alors que notre métier, c’est d’enseigner. »
Pourtant, enseignants comme étudiants s’accordent à dire que cette nouvelle méthodologie n’a pas d’impact sur la réussite. Marianne Kermarc pointe aussi les nouvelles priorités des étudiants : participer aux événements de l’université, s’investir dans une association ou prendre un job étudiant pour sortir de la précarité.
Selon Pierre Dubus, si la réussite n’a pas été entachée par le passage à distance en première année, d’autres conséquences sont bien visibles : « Cette formule a augmenté le poids des prépas privées. La journée, les étudiants vont à la prépa, le soir au tutorat. Le système est complètement gangrené et cela augmente les inégalités sociales, admet-il. On a aussi plus d’étudiants en difficulté, ils se sentent mal dans leur peau parce qu’il y a une désocialisation ».
Pédagogie inversée
Pour y remédier, en 2e et 3e années, les cours à Bordeaux sont devenus plus interactifs. À Montpellier, à la demande des étudiants, les CM, notamment de biophysique, ressemblent à des TD avec des exercices pratiques et l’utilisation d’outils comme Wooclap. À Grenoble, c’est la pédagogie inversée qui fait foi : en plus des cours numériques, les enseignants proposent des séances d’enseignement présentiel interactif (Sepi) pour répondre aux questions des étudiants. Un système hybride entre cours magistraux et enseignement dirigé qui tend à inciter les étudiants à venir en cours tout en « contrant les officines », assume Yassine Lakhnech, président de l’université.
Julie, de son côté, a décidé de revenir en cours pour sa troisième année toulousaine. « Je voulais retrouver un rythme, tester une nouvelle méthode de travail et sortir un peu de chez moi. Ça a bien fonctionné », assure-t-elle, décidé à continuer, tant que le succès est au rendez-vous.
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