Études médicales : les violences sexistes et sexuelles gangrènent les stages hospitaliers et la vie universitaire, l’ANEMF veut briser l’omerta

Par
Publié le 18/03/2021

Crédit photo : S.Toubon

Révélée ce jeudi, l’enquête de très grande ampleur menée par l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) démontre l’étendue des violences sexistes et sexuelles (VSS) à l’hôpital (lors des stages) mais aussi dans le cadre de leur vie universitaire. Principaux enseignements : selon cette enquête inédite, 30 % des répondants – sans distinction de genre opérée – ont été victimes de harcèlement sexuel au cours de leur formation hospitalière (38,4 % des femmes). Et 6 % des étudiantes ont subi une agression sexuelle.

Les résultats de cette étude – à laquelle près de 4 500 étudiants de la 2e année à la 6e année de médecine ont répondu du 8 mars au 30 avril 2020 – sont jugés « alarmants » et confirment que le milieu universitaire et hospitalier est gangrené par ces agissements. Pire, « la banalisation autour de cette problématique ne permet pas de faire évoluer les mentalités », se désole l’ANEMF. Panorama.

Agissements sexistes : 4 étudiants sur dix !

Remarques sur la tenue vestimentaire, stéréotypes de comportement, surnoms dérangeants et inadaptés, propos sexuels : 39 % des étudiants ont déjà reçu des « remarques sexistes » à l’hôpital, premier stade de violence. Les femmes (49,7 %) sont quatre fois plus victimes que les hommes (12,1 %).

Les agissements sexistes deviennent du « harcèlement sexuel » dès lors qu’ils ont un caractère répétitif, c’est-à-dire qu’ils ont été réalisés plus de deux fois. Sur ces bases, 30 % des répondants, donc, déclarent avoir été victimes de harcèlement (propos à connotation sexuelle non désirés et répétés) au cours de leur formation hospitalière. La prévalence chez les femmes est 4 fois supérieure (38,4 % contre 9,7 % des hommes).

Dans 90 % des cas, un supérieur hiérarchique

À l’hôpital, l’enquête classifie 4 catégories de harceleurs (plusieurs réponses possibles) : d’abord les médecins du service (75 %), les internes (41 %), les chefs de service (34 %) et le personnel paramédical (33 %). Dans une moindre mesure, les co-externes en stage peuvent être eux-mêmes à l’origine de ces situations de harcèlement (14,4 %). En compilant les réponses, près de 9 actes de harcèlement subis sur 10 ont été perpétrés par un supérieur hiérarchique (PU-PH, PH, CCA, interne, chef de service), soit dans 90 % des cas chez les femmes et 70 % des cas chez les hommes.

L’étude a analysé aussi les violences sexistes et sexuelles à la fac de médecine (hors stages). Au sein du milieu universitaire, le harcèlement sexuel est là encore très répandu avec des 32 % des étudiants concernés (dont deux femmes sur 5 et 1 homme sur 8). Dans ce contexte, les profils de harceleurs sont variés : 40 % des étudiants victimes ont reçu des remarques sexistes à répétition « à la fois d’enseignants et d’étudiants ».

L’ANEMF relève au passage que les chansons à connotation sexuelle pouvant blesser ou choquer au cours des études demeurent « très peu remises en question ». Or « plus d’un étudiant sur 8 » – dont 16 % de femmes – s’est déjà senti blessé ou visé par ces chansons paillardes à caractère sexuel, reprises sous couvert de l’esprit carabin.

Agressions sexuelles en stage : 6 % des femmes victimes

Plus grave, les agressions sexistes et sexuelles – attouchements, mains aux fesses ou autres gestes sexuels – sont loin d’être marginales en milieu hospitalier comme à la faculté.

À la question : « Avez-vous déjà fait l’objet, dans le cadre de votre stage, de gestes déplacés pour lesquels vous n’aviez pas exprimé votre accord ? », plus de 5 % des étudiants répondent positivement (2,9 % des hommes et 6,1 % des femmes) en milieu hospitalier. Comme pour les cas de harcèlement, les supérieurs hiérarchiques sont majoritairement à l’origine de ces gestes : en effet, « les médecins du service seraient incriminés dans 1 cas sur 2 », souligne l’enquête.

Le pourcentage de victimes d’agressions sexistes et sexuelles est encore plus élevé à l’université avec 15 % de réponses positives (19 % parmi les femmes). Les événements (tels que les week-ends d’intégration, soirées, galas) sont les lieux où les agressions surviennent très majoritairement (90 % des situations). Et dans plus de 9 cas sur 10, ce sont cette fois des étudiants qui en agressent d’autres.

Selon l’enquête enfin, 2,7 % d’étudiants déclarent avoir subi personnellement des gestes sexuels déplacés, sans leur accord, au sein du milieu universitaire, très majoritairement (72 %) au cours d’évènement extra-muros. En tout, « 119 étudiants rapportent avoir été violés » – soit 3,5 % des femmes répondantes.

Peu de signalements

Cette vaste enquête confirme aussi la relative faiblesse du nombre de signalements en cas d’agressions sexuelles (22 % des étudiants victimes en stage et seulement 14 % des étudiants à la faculté). Peur des représailles, méconnaissance des droits, sentiment que cela ne servira à rien : « les victimes ne dénoncent pas », résume l’association. Le sentiment d’illégitimité reste « flagrant parmi les témoignages que nous avons reçus », signale l’ANEMF qui a récolté les données de manière anonyme.

Dans près de 6 cas sur 10, les étudiants victimes à l’hôpital se confient à un proche mais également vers des personnes qu’ils peuvent côtoyer quotidiennement en stage comme les internes. Le recours aux élus et associations étudiantes est très faible puisque seule une agression sur 10 leur est remontée dans ce cadre.

Impact durable sur la santé mentale

Agissements sexistes, outrages, injures, harcèlement, et a fortiori agressions et viols : quelle que soit la réalité des faits, ce sont des violences qui « impactent durement la santé mentale des étudiants », souligne l’ANEMF. D’autant qu’elles sont commises, dans « l’immense majorité des cas » par des supérieurs hiérarchiques. « Demain, nous nous battrons avec force et détermination pour changer le cours de nos études », réaffirme le bureau de l’association en prônant la « tolérance zéro ».

De fait, 24 % des victimes ont eu « la sensation que ces évènements ont eu des conséquences sur leur avenir », ou plus directement sur leur consommation de tabac (10 %) ou d’alcool (17 %).

L’ANEMF rappelle enfin que la sensibilisation des étudiants – bien que cruciale pour la diminution des risques – demeure très insuffisante : près de 24 % des carabins n’en ont jamais discuté. L’ANEMF exhorte les jeunes, à la lumière de cette enquête édifiante, à changer les choses. « L’omerta a assez duré, lance l’association. Brisons-la ensemble »

*Enquête élaborée sur la plateforme Framaforms à partir d’un questionnaire construit par le bureau 2019/2020 de l’ANEMF


Source : lequotidiendumedecin.fr