Accusations d’agressions sexuelles et de viols à la fac de médecine de Tours : les étudiants dénoncent « l’omerta », le doyen se défend

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Publié le 20/04/2022

Crédit photo : S.Toubon

« Aujourd’hui ton violeur, demain ton docteur », « ici sont formés et protégés des violeurs ». Dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 avril, des messages accusateurs ont été collés sur les murs de la faculté de médecine de Tours, dont les photos ont été ensuite largement partagées sur les réseaux sociaux . À l’origine, le collectif « Actions féministes Tours », qui dit avoir été informé « d’une situation gravissime que vivent les étudiants en médecine : le harcèlement sexuel, en cours et sur leur lieu de stage ».

Plaintes 

Ces collages font notamment référence à une affaire révélée en 2020 au sein de la fac de médecine tourangelle. Cinq étudiantes avaient à l’époque déposé plainte pour agressions sexuelles et viol à l’encontre d’un autre carabin, un externe âgé d’une vingtaine d’années à l’époque des faits, selon « La Nouvelle République ». Les faits visés auraient été commis entre 2013 et 2020 lors de soirées estudiantines, hors des murs de la fac.

Placé en détention provisoire en septembre 2020 – puis libéré deux mois plus tard sous contrôle judiciaire – le suspect aurait toutefois pu poursuivre son cursus à la faculté de Limoges, exerçant notamment en stage au sein du service de gynécologie d’un centre hospitalier de Nouvelle-Aquitaine.

Complaisance ?

« La direction et le CHU sont au courant mais rien n'est fait pour protéger les victimes ni punir les agresseurs », dénonce le collectif féministe sur les réseaux sociaux, accusant notamment le doyen de la faculté de Tours d’avoir « protégé l’étudiant accusé de viol ».

Alertée sur « la complaisance dont auraient fait preuve les facultés de médecine de Tours et de Limoges vis-à-vis de l'étudiant », l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) s'est saisie du dossier. « Face à des accusations d’une telle gravité, comment expliquer que les doyens de médecine de Tours et de Limoges aient favorisé le transfert de faculté d’un étudiant à peine sorti de détention provisoire ? Comment expliquer que cet étudiant puisse être en stage de gynécologie malgré les charges portées contre lui ? », s’interroge l’association, qui souhaite mettre fin à « l’omerta à l'Université ».

Colère

L’Anemf s’interroge sur le temps écoulé entre ces plaintes pour des faits aussi graves et l’éloignement de l’agresseur présumé. « Il y a eu plusieurs semaines entre le dépôt de la plainte et la détention provisoire, délai durant lequel l’étudiant a pu continuer en stage à Tours, ce n’est pas acceptable », détaille Alexis Loupan, président de l'Anemf. Contactée par « Le Quotidien », Noémie*, étudiante en médecine à Tours se souvient que l’agresseur présumé « s’est même retrouvé, après la plainte, en stage au même étage que l’une de ses victimes ».

Noémie raconte que les accusations ont déclenché « une vraie colère chez les étudiants » du campus et regrette « une forme de protectorat et d’impunité » pour l’agresseur. Avec les collages, « nous sommes contents que ce secret de Polichinelle soit enfin mis en lumière », explique Noémie, qui craint toutefois que les tensions sur le campus n’en soient qu'exacerbées. Elle évoque une ambiance délétère à Tours, où l’affaire de viols et d’agressions sexuelles se mêle « à des témoignages de harcèlement sexuel en stage au CHU de Tours, envers des externes ». Une enquête du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est en cours envers le praticien concerné.

Le doyen se défend

Doyen de la faculté de médecine de Tours, le Pr Patrice Diot récuse en bloc les accusations qui lui sont faites et nie avoir voulu protéger le suspect. « En 2020, les cinq étudiantes sont venues m’informer des agissements de leur condisciple », se souvient pour « Le Quotidien » le Pr Diot. « J’ai immédiatement procédé au niveau de l’université à une suspension de l’étudiant, pour protéger ces étudiantes qui ne se sentaient pas la force de le retrouver en stage ou au sein de la faculté, nous voulions l’empêcher de croiser les victimes », raconte-t-il.

Alors que l’instruction sur les faits de viols et d’agressions sexuelles est en cours – et que la présomption d’innocence s’applique pour l’externe – « on nous a informés que nous ne pouvions empêcher sa reprise de scolarité, mais j’ai fait savoir à cet étudiant que je souhaitais qu’il quitte la faculté », poursuit Patrice Diot. Après avoir pris contact avec plusieurs facs de médecine, l’étudiant parvient finalement à s’inscrire à Limoges. « J’ai averti le doyen de Limoges de la situation et il a été très clair avec l’étudiant pour qu’il ait un comportement irréprochable », assure le Pr Diot.

Enquête

« On peut entendre l’idée d’éloigner l’étudiant des victimes, mais qu’il se trouve ensuite en stage de gynécologie c’est particulièrement malheureux… », réagit Alexis Loupan (Anemf). « J’espère qu’il n’y a pas eu de forme de complaisance de la part du doyen, mais il y a eu en tout cas de la légèreté et de l’imprudence, nous voulons comprendre pourquoi et souhaitons tirer les choses au clair », avance le président de l'Anemf.

C'est pourquoi l'association de carabins a appelé « fermement » le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à saisir l’Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) pour mener « les investigations nécessaires ». « Si les faits sont avérés, les sanctions adéquates devront être prises envers les responsables », met en garde l'Anemf qui, un an après la publication de l'enquête sur les violences sexistes et sexuelles au sein des études de médecine, regrette que « les étudiants victimes de ces violences ne puissent toujours pas compter sur la protection des institutions ».

De son côté, le doyen de la faculté de médecine de Tours réagit aux accusations à son encontre. « Je ne peux pas accepter que mon nom soit accolé à celui de protecteur de violeur », affirme-t-il. Le Pr Patrice Diot a l'intention de porter plainte pour diffamation et l’Université tourangelle pour « dégradation » et « intrusion », suite aux collages.

* Le prénom a été modifié


Source : lequotidiendumedecin.fr