En mars 2022, alors que le projet était dans les tuyaux depuis plusieurs années, le gouvernement a annoncé la création d’un deuxième cycle d’études médicales aux Antilles, à compter de la rentrée 2023. Jusqu’alors, après trois ans sur les bancs des facs caribéennes, quelque 200 carabins antillais et 70 guyanais s’envolaient vers la métropole pour réaliser leur externat.
Sauf qu’un an après cette annonce, les étudiants en médecine antillais sont en plein désarroi : la moitié d’entre eux souhaitent toujours effectuer leur second cycle dans l’Hexagone, « mais la faculté de médecine des Antilles prétend ignorer leur volonté de départ », s’insurge l’association « Droit au choix Externat - Médecine Antilles », collectif d’étudiants et de parents constitué en janvier pour défendre cette liberté de choix.
Seulement 16 % souhaitent rester
Selon un sondage en ligne mené le 25 janvier auprès de 345 étudiants par l’association Medik' West Indies, seulement 16 % des étudiants en troisième année voulaient réaliser leur externat… aux Antilles-Guyane. Et 85 % d'entre eux veulent conserver leur liberté de choix, « à l’instar des précédentes promotions ».
« Mais l’Université ne laisse pas le choix aux étudiants, ils se sentent piégés, et les promotions de 2020 et 2021 n’ont pas été informées », regrette Cécile*, membre du collectif et mère d’un étudiant en troisième année qui aurait aimé, comme d’autres, réaliser son externat en métropole.
Seul un interne sur trois revient
Comment expliquer ce souhait de partir en métropole ? « Car en Guadeloupe nous n’avons pas assez de terrains de stage ni d’encadrants », explique Cécile. Aussi, « le CHU est dans un état totalement moribond, délabré, les chefs de clinique ne restent pas », détaille-t-elle encore.
En créant cet externat aux Antilles, les autorités espèrent faciliter les implantations de jeunes médecins sur place. De fait, après avoir suivi leur second cycle dans l'Hexagone, seul un carabin sur trois revenait aux Antilles pour son internat. À l’inverse, « les internes issus des facultés de métropole ne s’installent que rarement aux Antilles et en Guyane », pointait en décembre 2021 un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), interrogée sur l’implantation d’une fac de médecine de plein exercice aux Antilles. Manque d’attractivité et manque de personnel se combinent dans ces régions « défavorisées », notait l’Igas.
Le rapport mettait en avant le « trop faible nombre de terrains de stage dans certaines spécialités ». Selon les chiffres transmis par la faculté des Antilles à l’Igas fin 2021, seuls 42 postes d’hospitalo-universitaires (HU) étaient pourvus en Guadeloupe, Martinique et en Guyane, 11 MCU et 17 chefs de clinique. Pour encadrer ces externes, le gouvernement avait annoncé l’année dernière la création – dans les 5 ans à venir – de 15 postes de HU et 15 postes de chefs de clinique assistants supplémentaires.
« Ce projet est précipité »
Pour Cécile, « ce projet est précipité » et cherche à « récupérer des externes dans une période où même les médecins ne veulent pas venir, et où le personnel soignant travaille dans des conditions déplorables ». Le collectif craint qu’en restant aux Antilles, les carabins voient la qualité de leur formation baisser. D’autant que la création de l'externat antillais intervient en pleine réforme du second cycle, qui introduit des épreuves cliniques – les Ecos comptant pour 30 % de la note finale donnant accès à l'internat – et qui nécessitent « d’avoir une super qualité de stage pour réussir », souligne-t-elle. « Si la formation de nos enfants est médiocre, ils seront moins bien classés à l'internat, et il y aura donc moins de médecins spécialistes antillais dans certaines spécialités qui sont déjà en carence ici, comme la chirurgie vasculaire », anticipe Cécile. Elle dénonce une « inégalité des chances pour les Antillais ».
Si l’Igas avait donné son feu vert pour le lancement d’un externat aux Antilles, elle avait déjà mis en garde en 2021 sur le « délai de préparation impérieux ». Mais pour l'Inspection, la philosophie restait la bonne car les départs vers la métropole rendaient aussi le parcours « complexe », source de « ruptures familiales et géographiques qui réduit les chances de réussite et de classement à l’internat ».
Posture « méprisante » de la fac
À quatre reprises, le collectif « Droit au choix d’externat » a alerté l’université et la doyenne par courrier, sans succès. « L’Université refuse de comprendre et fait tout pour bloquer les demandes de transfert individuel vers la métropole », se désole Cécile, précisant pourtant que le gouvernement leur avait « confirmé par écrit en mars 2022 que les étudiants pourraient encore partir dans l’Hexagone ». Pour elle, la faculté fait preuve d'une posture « autocratique » et « méprisante ».
Mi-janvier, le collectif a déposé une requête au tribunal administratif de Basse-Terre, pour tenter d’obtenir une médiation avec l’université. À six mois du lancement de la première promotion d’externes antillais, l’association demande en urgence des mesures transitoires. « Par exemple, en ouvrant dès la rentrée une cinquantaine de places seulement aux Antilles, puis en augmentant ce nombre progressivement », illustre Cécile. Une transition en douceur déjà opérée à la fac de médecine de la Réunion, qui est, elle aussi, devenue une faculté de plein exercice en septembre 2023.
* Prénom modifié
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