Malgré les lois anti-cadeaux et la charte éthique des doyens de médecine pour encadrer la promotion de l’industrie pharmaceutique dans les facs, 96 % des étudiants en médecine français se disent toujours exposés, de près ou de loin, au marketing des laboratoires. Tels sont les résultats d’une étude menée par le département de médecine générale de l’Université de Rennes, publiée cet été dans le BMJ Open.
Quelque 3 700 externes et 2 800 internes ont répondu aux questionnaires envoyés dans toutes les facs de France par les chercheurs, entre mars et avril 2019. La conclusion est sans appel. « L'exposition des étudiants en médecine à la promotion et à l'incitation des produits pharmaceutiques reste importante et débute tôt dans la formation médicale », indiquent les auteurs. Rien qu’au cours des six mois précédents le questionnaire, 78 % des carabins affirmaient avoir été exposés à une promotion pharmaceutique.
Les internes de chirurgie en première ligne
À quelle occasion les étudiants sont-ils soumis au marketing des labos ? Huit juniors sur dix déclarent avoir déjà, au cours de leur cursus, rencontré un visiteur médical. Viennent ensuite la réception d’un document publicitaire, puis l’offre d’un cadeau « de faible valeur », comme un stylo. Davantage que les externes, les internes rapportent plus fréquemment avoir bénéficié d’un repas payé par une compagnie pharmaceutique.
Aussi, les internes des spécialités médicales et chirurgicales déclarent assister plus fréquemment que les futurs généralistes à des conférences financées par l’industrie du médicament (82 % vs 56 %). Les internes de médecine générale affirment également rencontrer moins souvent les délégués pharmaceutiques que ceux des autres spés : 37 % des jeunes généralistes ont échangé plus de dix fois au cours de leur cursus avec ces VRP (contre 46 % pour les internes des autres spés). Les spécialistes étant plus souvent tenus de prescrire des médicaments spécifiques, chers et « plus rentables pour l'industrie, ils peuvent être soumis à une plus grande pression marketing », indiquent les auteurs.
Surtout, les internes en chirurgie semblent être les plus exposés dans l'étude, toutes situations confondues. « Ils avaient également les attitudes les plus favorables envers les activités de marketing pharmaceutique. Cela pourrait s'expliquer par leur grande proximité avec l'industrie du matériel médical », avance la publication.
Stratégies d'influence
Si des travaux ont déjà montré qu’une exposition précoce au marketing pharma « génère une attitude plus positive envers les stratégies promotionnelles » et tend à modifier les prescriptions des confrères, les carabins relativisent et semblent voir plutôt d’un bon œil ces pratiques. Seul un tiers des étudiants pense que le fait de recevoir un cadeau pouvait influencer leur propre prescription.
63 % d’entre eux jugent approprié de recevoir un financement de l’industrie pour assister à des conférences scientifiques, 58 % trouvent justifié d'être conviés à des repas gratuits. Toutefois, à nouveau, les internes de médecine générale se montrent plus réticents sur cette proximité. Ainsi, deux tiers d’entre eux se déclarent en total désaccord avec le fait de recevoir un cadeau de plus de 50 euros (contre 52 % des internes des autres spécialités). Neuf carabins sur dix considéraient que les informations fournies par les laboratoires pouvaient être biaisées.
Poussés par les seniors ?
En 2017, la Conférence des doyens de médecine a établi une charge éthique sur les liens entre industrie pharma et formation. Les auteurs constatent en 2019 « peu de réelles améliorations pratiques ». D'ailleurs, 85 % des étudiants interrogés ignorent l’existence de ce document. En 2019, la loi s’est à nouveau durcie pour interdire tout financement des étudiants en médecine par les laboratoires.
Pourtant, 72 % des carabins ne se sentent pas assez formés sur le sujet. Ils font part aussi de l'influence majeure de l’attitude… de leurs encadrants. Huit sur dix rapportent que leur rencontre avec un visiteur médical dépend surtout des habitudes de leur hôpital ou du cabinet dans lequel ils effectuent un stage. Près de 40 % d'entre eux ont déclaré avoir souvent ou « très souvent » été invités par des praticiens plus âgés à rencontres des délégués. Et seuls 7 % ont refusé ces rencontres par peur d’être « jugés ou critiqués » par leurs confrères. Une fois de plus, les internes en chirurgie sont les plus exposés.
Rendre obligatoire la prévention
Les auteurs regrettent un manque de prévention sur ces sujets dans les facs françaises, qui marquent un niveau d’exposition au marketing élevé dans le monde, loin devant les étudiants norvégiens par exemple. Ils souhaitent que des formations sur les stratégies des laboratoires deviennent obligatoires lors du cursus.
En réaction à la publication de cette étude, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) a rappelé son attachement à l’indépendance de la formation médicale, « une valeur fondamentale ».
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