« Il y a aujourd’hui une vraie volonté de développer la prévention à l’hôpital. Ce n’était pas le cas il y a une dizaine d’années », se félicite le Pr François Alla, chef du service de soutien méthodologique et d’innovation en prévention du CHU de Bordeaux. Il cite ainsi « des centaines d’actions portées par les hôpitaux et les hospitaliers, que ce soit dans les murs pour les patients et le personnel ou hors les murs pour aller toucher des personnes éloignées du soin ».
Pourtant, si depuis deux ans la prévention figure dans l’intitulé du ministère de la Santé, la France peine à accélérer sur le sujet. En 2022, les dépenses de santé consacrées à la prévention s’élevaient à 12,7 milliards d’euros (sur un total de 313,5 milliards d’euros de dépenses de santé), une enveloppe en retrait de près de 28 % par rapport à 2021, mais largement supérieure aux 5,54 milliards d’euros de 2019 avant le Covid-19.
Développer les projets ville-hôpital
Dans son rapport de 2021, la Cour des comptes pointait des résultats « globalement médiocres » des politiques de prévention menées pour trois familles de pathologies : les cancers, les maladies neuro-cardiovasculaires et le diabète. Parmi leurs recommandations, les sages de la rue Cambon préconisaient la mise en place d’une conférence départementale réunissant les différents acteurs et notamment les professionnels et établissements de santé « afin de partager des constats épidémiologiques locaux et de coordonner la mise en œuvre des actions de prévention ». Les échanges ville-hôpital semblent ainsi encore dépendants des territoires. Le développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pourrait cependant accompagner la mise en place d’actions coordonnées. « Elles pourraient constituer le bon outil, la prévention figurant dans les missions prioritaires. L’établissement de santé peut alors avoir une place pour apporter une expertise, une plateforme, ou pour des cas complexes », observe le Pr Alla. « La CPTS est le bon outil pour de nombreuses actions, mais il faut le temps d’apprendre à travailler ensemble », renchérit Sophie Pierrard, trésorière adjointe de la Fédération nationale des CPTS (FCPTS), masseuse-kinésithérapeute à Saumur et secrétaire de la CPTS du Grand Saumurois. Elle souligne cependant que si les actions de prévention « peuvent être rapidement mises en place avec des acteurs locaux, les enveloppes dédiées ne sont pas vraiment importantes ».
Chaque contact avec l’hôpital doit être une occasion de prévention
Pr François Alla, chef du service de soutien méthodologique et d’innovation en prévention du CHU de Bordeaux
Un autre écueil relevé par le Pr Alla : la coordination au sein même des établissements et la systématisation des actions. « Même si elles sont nombreuses, ces actions de prévention ne sont pas toujours coordonnées, basées sur les preuves, systématisées… », liste-t-il. Avant de citer l’exemple du Royaume-Uni et le principe : « chaque contact avec l’hôpital doit être une occasion de prévention. Par exemple, un patient admis aux urgences fait-il l’objet d’un tour à 360 ? » Pour y parvenir, le chef du service dédié au sein du CHU de Bordeaux préconise d’inscrire la prévention dans le projet d’établissement, car « cela nécessite des moyens et du temps, détaille le Pr Alla. Par exemple, sur le tabac, il faut déterminer qui va aborder le sujet avec le patient, et si ce dernier se montre d’accord pour arrêter, il faut savoir qui va assurer le suivi, prendre un rendez-vous avec un tabacologue… Il faut également que le système d’information de l’établissement s’y prête, que la coordination avec la ville puisse être réalisée et que le modèle économique soit défini ». Il partage également la méthode déployée au CHU de Bordeaux. Au sein de son service, il accompagne les équipes du CHU pour construire des actions, partage les bonnes références françaises et internationales… Le Pr Alla invite à mettre en place une stratégie globale pour les patients mais aussi le personnel hospitalier : « un médecin qui fume est moins performant qu’un non-fumeur pour inciter les patients à arrêter ». Et à la question du budget alloué, le Pr Alla martèle : « tout dépend du point de vue : pour l’hôpital, c’est un investissement, mais pour les pouvoirs publics, c’est extrêmement rentable ! »
S’appuyer sur le numérique
À Neuilly, l’Hôpital Américain mise sur les start-up du numérique en santé pour innover dans le domaine de la prévention. L’établissement a ainsi réalisé un appel à projets dédié en septembre 2023. « Nous nous attendions à recevoir une vingtaine de candidatures, ce sont 74 sociétés qui ont répondu », indique le Pr Robert Sigal, son président. Il présente les trois start-up sélectionnées et actuellement accompagnées : BBalance qui développe un pèse-personne doté d’une intelligence artificielle pour détecter les problèmes de stabilité et de fonte musculaire ; Axelife, qui utilise un dispositif médical non invasif pour mesurer la rigidité artérielle ; et Akuity Care qui détecte les troubles dépressifs dans des biomarqueurs vocaux. L’hôpital devrait annoncer en juillet quelle entreprise est retenue, précise le Pr Sigal. La solution pourrait alors être testée grandeur nature. Une opération qui s’inscrit dans la stratégie prévention de l’établissement qui s’est doté d’un « check-up center » depuis 1991 et déploie plusieurs offres, notamment pour les grands fumeurs ou pour les femmes à risque de cancer du sein. Pris en charge hors sécurité sociale et en grande majorité par les entreprises, 8 000 check-up ont été menés en 2023. Et, avec l’ouverture d’un nouveau bâtiment dans un an, l’établissement ambitionne d’atteindre 15 000 check-up par an à l’horizon 2028, confie le Pr Sigal.
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