Le secret médical est un des piliers de notre déontologie, il est la garantie pour nos patients que leurs secrets de santé ne seront jamais divulgués à une tierce personne. Il est presque absolu, mais il connaît de nombreuses dérogations. Par contre, lorsqu’un médecin a connaissance d’un réel danger pour un de ses patients, en quoi se taire protège-t-il le patient ? Où est la limite avec la non-assistance à personne en danger ?
La réponse au fléau des violences conjugales, et des violences faites aux femmes en général, doit être sociétale. Nous sommes tous concernés, en tant que parents, amis, voisins et médecins. Dans la prise en charge sociale, policière, ou judiciaire, il ne faut pas que les médecins soient absents car nous sommes bien souvent les premiers informés de ces violences.
Le médecin est souvent le premier informé
L’enchaînement mortifère médecin traitant, chirurgien, médecin légiste, est une réalité, et il doit être stoppé. Le médecin doit pouvoir, lorsqu’il constate des violences, des lésions suffisamment graves, un danger imminent, le signaler à un magistrat spécialisé, et pourquoi pas, demander une mesure de protection immédiate. Les médecins connaissent les familles et savent parfois avant tout le monde ce qui s’y passe, les chirurgiens reçoivent en urgence des femmes justifiant parfois une chirurgie réparatrice, ils sont donc tous capables d’évaluer la réalité du danger.
Le secret médical, général et absolu, est un frein dans la chaîne de protection des femmes, un maillon faible. Finalement, les coups, les blessures reçues par la victime, n’engendrent que soins et compassion de la part du médecin, jamais de dénonciation, aucun signalement, et il s’ensuit une forme d’impunité renforcée pour l’agresseur. Ceci facilite la récidive ; et l’enchaînement, dénoncé ici, peut se poursuivre jusqu’au décès de la victime.
Se confier à son médecin, en qui on a confiance, est du même ordre que la main courante à la gendarmerie. Quelle réponse est faite aux victimes à la suite de cette confession au médecin ou au gendarme ? Il vous faut porter plainte auprès du procureur. Voilà, nous médecins, ce que nous avons fait du « lien de confiance » : nous soignons, nous donnons des conseils, des certificats, et nous les invitons à porter plainte… Devons nous en rester là et les renvoyer au domicile auprès de l’agresseur ?
Pour certaines victimes, porter plainte auprès du procureur est difficile. Le déni, la honte, la culpabilité ou la peur, sont des freins souvent insupportables. L’emprise sur les victimes est parfois telle que porter plainte est impossible, même lorsqu’il y a un risque vital. Certaines nous ont déjà affirmé qu’elles aimeraient que le médecin signale à leur place, qu’une procédure de protection soit lancée ; ainsi elles ne se sentiraient pas responsables de la rupture familiale qui suivra la plainte.
On nous impose un silence absolu
Les 140 femmes tuées en 2019 avaient pour la plupart un médecin traitant, ou déjà consulté un chirurgien pour des réparations faciales ou des plaies. Elles avaient probablement un lien de confiance avec leur médecin, qu’en a-t-il fait ? Le secret médical absolu leur a imposé un silence absolu… Elles sont mortes sous les coups du conjoint ou ex-conjoint. Pour les médecins concernés, ceux qui savaient et n’ont rien dit, les cas de conscience ont dû être nombreux. Comment vivent-ils aujourd’hui avec ce sentiment d’avoir su et n’avoir pas dénoncé ?
Les chirurgiens plasticiens réclamaient depuis des mois une adaptation du secret médical leur permettant de signaler au magistrat des violences d’une importante gravité. C’était d’ailleurs leur demande principale lors du colloque sur les violences faites aux femmes le 22 novembre 2019 lors du congrès national de la Société Française de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique (SOFCPRE). L’adaptation du secret médical, votée depuis à une large majorité par le CNOM, donnera la possibilité au médecin de signaler des violences graves, elle va renforcer la confiance des patients envers leur médecin.
La peur doit changer de camp. L’agresseur doit savoir que désormais, après des violences manifestes, une grave mise en danger, un passage de la victime par les urgences, il y aura des risques de conséquences judiciaires.
Les victimes savent que leur confiance envers le soignant lui permettra d’amorcer un processus de protection grâce au signalement qu’il peut faire. Le médecin pourra directement signaler les faits à un magistrat. La possibilité d’un signalement même sans l’accord de la victime augmente la protection des femmes victimes de violences.
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