LE QUOTIDIEN : L’ARS Ile-de-France était-elle préparée pour gérer la crise ?
AURÉLIEN ROUSSEAU : Personne n'est jamais préparé à un tel choc. Mais les ARS ont une expérience de gestion de crise de près de dix ans. Je pense à Ebola, aux attentats de 2015 et, plus récemment, Notre-Dame-de-Paris, dont la dimension sanitaire [sur la pollution au plomb consécutive à l’incendie, NDLR] a réclamé beaucoup de communication. Cette antériorité a éprouvé notre capacité collective à faire face et à réagir rapidement. La gestion de crise fait partie de notre métier.
En termes d'organisation, quel bilan tirez-vous de cette séquence inédite ? Si c'était à refaire, agiriez-vous de la même façon ?
J'ai évoqué pour la première fois l'idée de crise sanitaire le 22 janvier en comité d'action régional ; le 26, j'étais à Roissy pour assurer l'accueil sanitaire des premiers voyageurs. Nous avons organisé le tracing, des enquêtes épidémiologiques, géré des clusters du Val-d'Oise jusqu'à l'Assemblée nationale ! Au plus fort de la crise, nous avions 25 médecins en veille à l'agence pour réceptionner des centaines de signalements. On est monté jusqu'à 3 000 appels par jour. On a complètement restructuré l'agence en cellules "cas complexes", "masques", "enquêtes", "déconfinement". On va devoir capitaliser cette agilité d'action, cette capacité à se transformer en quelques semaines.
Autre enseignement : moi qui pensais que la crise allait plomber le développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), l'inverse s'est produit ! La contribution de la médecine de ville, en particulier en aval, a été extraordinaire. Ça ne veut pas dire qu'on ne s'est pas engueulés de temps à autre mais puisqu'on allait tous dans le même sens, on a tenu. Le renforcement du lien entre la ville et l'hôpital : voilà un autre élément positif à retenir.
Si c'était à refaire, j'agirais différemment sur le sujet du renoncement aux soins. Peut-être aurions-nous dû formuler notre vigilance plus tôt. Et les 50 centres Covid d'Ile-de-France ont reçu beaucoup moins de patients que ce qu'on pensait initialement. Attention, je suis très fier de ces centres ! Mais il faut accepter d'essayer des choses sans être certain que cela fonctionne comme prévu.
Comment avez-vous accompagné les professionnels ?
Tous les jours, l'ARS tient une visioconférence avec près de 300 présidents de CME et directeurs d'établissements publics et privés : ils nous posent des questions, on y répond, on explique nos choix. Fin mars, quand on a compris qu'il fallait sortir 1 000 lits de réanimation en plus, j'ai appelé Pascal Roché [cliniques Ramsay Santé], Lamine Gharbi [patron de la FHP] et Martin Hirsch [directeur de l'AP-HP]. Je leur ai dit : « voilà, on va se répartir la tâche ». Et ça a marché parce que tout le monde était dans le même bateau. J'ai appliqué le même principe de « conf' call » avec les libéraux franciliens de l'URPS.
On nous reproche parfois de fixer trop de règles. Mais là, les professionnels étaient en demande. Et on leur a répondu en mettant en ligne plusieurs doctrines sur le Covid et le cancer, la sortie d'hospitalisation, l'isolement des services, etc.
Avez-vous eu le sentiment d’un « ARS bashing » ces dernières semaines ?
Oui, très clairement. Pourtant, le système de santé ne s'organise pas par une main invisible. Les ARS sont parfois prises en étau dans une situation paradoxale. Si on délivre une autorisation exceptionnelle de réanimation en un temps record, certains nous applaudissent, d'autres vont jusqu'à déposer un recours en mettant sur la table le principe de concurrence.
Et à ceux qui nous reprochent d'être des bureaucrates déconnectés, je dis : les bureaucrates, ils sont sur le pont 24 heures sur 24 depuis le début de cette crise. 80 de ces bureaucrates ont eu le Covid. On a envoyé 3 000 professionnels en renfort dans les EHPAD et des milliers dans les hôpitaux grâce à l'outil renfort-covid créé en quelques jours. Tout le monde est perfectible, d'accord, mais personne ne peut considérer qu'on a tourné le dos aux difficultés.
Votre homologue du Grand Est a été limogé après avoir évoqué un plan d'économies antérieur à la crise. Quelles leçons en tirez-vous ?
Les directeurs généraux d'ARS sont nommés en conseil des ministres. Ils peuvent être démis de leurs fonctions à tout moment. Les règles du jeu sont à la hauteur des responsabilités qui nous sont confiées.
À la lumière de la crise, faut-il revoir ou supprimer certaines missions pour rendre les ARS plus agiles ?
À l’issue de cette crise, une ARS ne sera ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. La situation nous montre que les concepteurs des ARS, nées de la loi HPST, ont eu une bonne intuition. Nous avons dû simultanément faire de la régulation, de la veille et de la sécurité sanitaire, de la santé publique. Cette approche globale nous a servis dans la bataille. Il y a dix ans, neuf ou dix administrations auraient dû être sollicitées pour faire le job.
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