LE QUOTIDIEN : Alors que plus de 7 millions de Français vivent dans un désert médical, le sujet s’impose dans la campagne présidentielle. Quel est votre diagnostic ?
ANNE HIDALGO : Il n’y a pas un seul de mes déplacements où l'on ne parle pas de la question des déserts médicaux ! Désormais, une partie des Français a intériorisé le fait que dans certains départements, l’espérance de vie est moindre car le suivi ne peut plus être assuré par les médecins de ville et que l’hôpital est submergé par manque de moyens. C’est grave, on ne peut plus accepter ça. Si on en est arrivé là aujourd’hui, c’est à cause du numerus clausus qui, certes s’est assoupli, sans pour autant que l’on donne plus de moyens aux universités pour former les étudiants. Je propose donc de former chaque année 15 000 médecins, en allouant des moyens conséquents aux universités et aux CHU.
L’impact de l’augmentation du nombre de médecins formés ne se fera sentir que d’ici une dizaine d’années. Comment agir dans l’urgence ?
Effectivement, on ne peut pas attendre 10 ans, l’urgence est là. Pour agir dès 2022, ma proposition consiste à s'appuyer sur la réforme de l’internat de médecine générale avec l’ajout d’une quatrième année, pour la transformer en une année de professionnalisation. Ça ne sera pas simplement une année supplémentaire payée 1 700 euros par mois, elle sera rémunérée le double, 3 500 euros. En contrepartie, nous demanderons aux internes de faire cette dernière année dans un désert médical. Ils ne seront pas livrés à eux-mêmes et seront encadrés par un maître de stage. Les collectivités les aideront en mettant à disposition un logement, une voiture… Si on démarre dès cette année, ce sont 4 000 jeunes qui iront exercer dans des déserts médicaux, à ces conditions d’accompagnement et de rémunération. Dès 2022, il y aura une vraie présence médicale supplémentaire.
Les internes ont été très mobilisés pendant la crise. N’avez-vous pas peur d’en faire à nouveau une variable d’ajustement de notre système de santé ?
J’ai conscience que les internes et les externes donnent déjà beaucoup d’eux-mêmes, y compris pendant la pandémie où ils ont dû suppléer les carences de notre système de soins. Mais notre système de santé est financé par les cotisations sociales et les impôts, on ne peut pas dire aux Français qu’on réglera leurs problèmes d’accès aux soins dans 10 ans… Peut-être que, pendant cette année supplémentaire, les internes rencontreront des médecins et des patients qui leur donneront envie de rester. Et si ça ne fonctionne pas, il n’y aura pas de contrainte à rester après cette année.
Dans la même veine, êtes-vous favorable à une régulation à l’installation ?
Je ne suis pas pour une obligation d’installation dans les zones sous-denses. Par contre, je suis convaincue qu’il ne faudra pas autoriser de nouvelle installation dans les zones où il y a déjà pléthore de médecins – comme ça peut être le cas sur la bande littorale. Ça n’aurait pas de sens. Je pense que le dialogue et l’incitation sont toujours préférables à l’obligation et je m’engage, au début du quinquennat, à définir ces orientations avec les organisations professionnelles. J’entends ceux qui ne veulent absolument aucune contrainte, mais un monde sans contrainte, ça n’existe pas.
Avez-vous prévu de revaloriser la consultation de référence fixée à 25 euros ?
Pas pour l’instant.
Comment imaginez-vous le lien ville-hôpital ?
L’hôpital est le navire amiral du service public de santé, sur tous les territoires. Il devra être doté de moyens suffisants, évalués en fonction des besoins de la population. Et autour de ce navire amiral, il faut que la médecine de ville soit là pour soulager l’hôpital et décloisonner le lien avec la médecine de ville. Pour décharger les urgences et répondre aux besoins des habitants de zones sous-dotées, je ferai en sorte que les médecins libéraux reprennent des permanences, principalement le week-end, sous une forme quasiment de service public. Il faudra accompagner les libéraux : on ne va pas demander à un généraliste qui est déjà tout seul sur un territoire très vaste d’assurer, en plus, une garde obligatoire.
Quel regard portez-vous sur l’hôpital après deux ans de pandémie ?
Bien avant la crise, l’appel à l’aide avait déjà été lancé dans les hôpitaux. En tant que présidente de la commission de surveillance de l’AP-HP j’avais soutenu les collectifs inter-hôpitaux. Rémunérations basses, fuite vers le privé, conditions de travail déplorables à cause d'une logique comptable qui l’emporte sur tout le reste : le mal-être des soignants était déjà pleinement posé sur la table, sans que le gouvernement d’Emmanuel Macron n’en tire aucune conséquence. Et ce, pour une raison très simple : le gouvernement a considéré que l’hôpital devait sortir de sa vocation universelle. Et que, finalement, tous ceux qui le pouvaient, pourraient bénéficier de l’offre privée à leur frais. Le choix a été fait clairement par le gouvernement de ne pas mettre de moyens dans l’hôpital public. S’il a été capable de supprimer l’ISF, investir pour accompagner les soignants semble plus compliqué…
Après deux ans de crise, l’hôpital craque de partout. Il ne tient que grâce à l’abnégation de son personnel soignant. Rien n’a été anticipé et, au fil des confinements, 5 700 lits ont été supprimés. Je n’appelle pas ça bien gérer une crise et en tirer les leçons.
Que proposez-vous pour redonner du souffle à l’hôpital ?
Déjà, il faut sortir immédiatement de « l’hôpital entreprise ». Arrêtons de calculer la rentabilité et la profitabilité des établissements comme on le ferait dans le privé. Il faut revoir la tarification à l’activité. Ça ne peut pas être une façon de doter les hôpitaux de moyens nécessaires. Je propose que chaque hôpital évalue ses besoins en fonction du bassin de vie dans lequel il est implanté.
Ensuite, je supprime l'Ondam [objectif national de dépenses d'assurance-maladie] pour sortir de la logique comptable qui a pour unique but de limiter les dépenses ; et je le remplacerai par des objectifs nationaux de santé publique. L’idée est de partir des besoins de chaque territoire – en fonction de l’âge, des risques environnementaux de pollution atmosphérique, d’exposition aux pesticides ou de désindustrialisation par exemple – pour fixer de grandes orientations. Ces réalités de terrain seront remontées chaque année, au premier semestre, au Parlement, pour nourrir le PLFSS. Ce serait aussi l’occasion de fixer des grands objectifs de santé publique sur le cancer, les maladies mentales ou neurodégénératives ou le Sida. Nous avons chiffré les mesures sociales et de santé à 14 milliards d’euros supplémentaires par an.
Que vous inspire le scandale de la maltraitance en Ehpad ? Que proposez-vous ?
J’ai beaucoup de compassion à la fois pour nos séniors, les soignants et les familles qui ont découvert ces maltraitances, en l’occurrence dans des Ehpad privés qui ont préféré rétribuer leurs actionnaires plutôt que de mettre les moyens sur l’accueil, les soins et l’hôtellerie. Sur ce sujet il faudra, là encore, un service public fort, puissant, qui puisse s’appuyer sur les territoires, en permettant le maintien à domicile le plus longtemps possible. Pour cela, nous voulons augmenter l’allocation personnalisée d'autonomie, pour passer de 500 euros en moyenne à 750 euros.
Pour les Ehpad, nous augmenterons le nombre de personnels, de l’ordre de 40 000 personnes supplémentaires. C’est en moyenne 4 à 5 aides-soignantes par établissement et une infirmière de nuit partout. Car, pour l’heure, seuls 15 % des Ehpad possèdent une infirmière de nuit.
Bien sûr, il faudra de nouveaux moyens pour la dépendance. Il faudrait un milliard d’euros supplémentaire par an, qui viennent s’ajouter aux 25 milliards de dépenses consacrées aujourd’hui à la dépendance. Le président de la République nous avait promis une loi grande âge, mais il l’a repoussée. En revanche, ce gouvernement a permis un tas de niches fiscales pour investir dans des Ehpad privés.
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