LE QUOTIDIEN : Les chiffres exhaustifs des téléconsultations depuis 2020 montrent que, contrairement à ce qu’affirment certains acteurs de la télémédecine, cette pratique ne bénéficie pas aux zones à faible densité médicale. Est-ce que cela vous étonne ?
DR PIERRE SIMON : Non car effectivement, la téléconsultation a surtout bénéficié aux zones urbaines, aux jeunes actifs, mais absolument pas aux plus âgés qui vivent dans les zones isolées, ni d'ailleurs aux Ehpad. Ce n'est pas propre à la France. Et pendant le premier confinement, l’âge médian des téléconsultants était de 27 ans ! Je crois que nous assistons actuellement à une téléconsultation générationnelle : des jeunes urbains, en télétravail, chez qui la pratique fait gagner du temps. C'est la société d’instantanéité. Finalement, le service rendu de la téléconsultation serait plus d’ordre social que sanitaire. Et pour cause : nous n’avons pas suffisamment pris en compte l’illectronisme. Je dirais même : la vraie téléconsultation, telle qu’elle aurait dû être, n’a pas encore commencé !
Qu’est-ce que vous considérez comme « une vraie téléconsultation » ?
C’est une téléconsultation programmée, assistée à domicile par un infirmier par exemple, en alternance avec des consultations en présentiel pour les malades chroniques. Pour l’instant, on a tout à bâtir pour faire naître la vraie téléconsultation car l’usage que l’on en a maintenant - chez les jeunes, pour de la bobologie - ce n’est pas l’essentiel. Désormais, il faut que les médecins qui souhaitent développer la téléconsultation arrêtent de s’appuyer uniquement sur Doctolib, arrêtent avec les téléconsultations de substitutions et commencent à s’organiser sur une réelle alternance, réfléchie, avec le présentiel.
Pensez-vous qu’elle pourra, à terme, apporter une réponse à la désertification médicale ?
Nous allons voir des solutions de télémédecine naître pour les déserts médicaux, mais pour l’instant force est de constater qu’elles n’ont pas pu encore apparaître. Il y a deux aspects. La téléconsultation programmée d’abord, qui a l’intérêt de ne pas faire déplacer les malades chroniques, pour renouveler leurs ordonnances par exemple. Et les soins non programmés ensuite. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pourront s’organiser via le service d’accès au soin (Sas) pour chercher des médecins qui peuvent recevoir, au pied levé, des patients, que ce soit en téléconsultation ou pas. Dans les déserts médicaux, la téléconsultation peut s’opérer en dehors du territoire, faute de ressource médicale. Mais pour l’instant, tout cela demande à être mis en œuvre.
Les psychiatres, les allergologues ou les cardiologues font partis des spécialistes qui réalisent la plus grande part de leurs consultations à distance. Comment l’expliquer ?
Car c’est un suivi de patients chroniques, et là effectivement c’est le vrai sens de la téléconsultation. Pour les dermatologues par exemple, les chiffres sont plus bas car ils réalisent plutôt de la téléexpertise. Les pratiques sont très variables en fonction des spécialités, et il ne faut pas oublier que près de 60 % des généralistes ne font pas du tout de téléconsultations.
Sur les 156 millions de consultations de médecine générale en 2021, 5,8 % ont été réalisées à distance. Comment imaginez-vous le déploiement de la téléconsultation chez les généralistes ?
On estime à un quart environ des généralistes qui veulent conserver la téléconsultation, la font bien, l’ont intégré dans leur planning de programmation sur Doctolib ou autre. Ceux-là ne changeront plus et considèrent que la téléconsultation leur fait gagner du temps, ils peuvent renouveler les ordonnances et discuter des résultats d’examen de biologie. Pour beaucoup de généralistes, c’est aussi le moyen de transformer ce qu’ils faisaient gratuitement par téléphone en téléconsultation, et d’augmenter leur revenu. Pourquoi pas ! Je pense que ce type de pratique va se stabiliser, mais qu’elle ne convient pas aux déserts médicaux ni aux patients âgés, pour lesquels il faut travailler à l’usage programmé et assisté de la téléconsultation.
Que pensez-vous du quota de l’avenant 9 qui limite actuellement à 20 % le nombre de consultations réalisable à distance ?
C’est une côte mal taillé. L’idée de l’Ordre des médecins et de l’Assurance-maladie était d’empêcher les pratiques exclusives à distance. Mais aujourd’hui, certains médecins font beaucoup plus que 20 % car ils trouvent la télémédecine intéressante, se sont bien organisés pour, et la Cnam leur tombe dessus. Ça risque vraiment de brider ces médecins et de réduire les pratiques de téléconsultations. Je pense que, dans le cadre de téléconsultations programmées et assistées chez les malades chroniques, on pourrait aller jusqu'à 50 % à distance, avec une consultation sur deux en présentiel.
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