Dr Yannick Schmitt (ReAGJIR) : « Aujourd'hui, les généralistes n'ont aucun intérêt à alimenter le DMP »

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Publié le 15/11/2018
Yannick Schmitt

Yannick Schmitt
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LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Avant sa généralisation officielle, vous avez expérimenté le DMP pendant dix-huit mois dans le Bas-Rhin. Quelles sont vos impressions ?

Dr YANNICK SCHMITT : Sur le principe, c'est une bonne idée. Mais il y a beaucoup de chemin à parcourir. D'abord, accéder au DMP n'est pas forcément très facile. Tout dépend du logiciel qu'on utilise. Il faut vraiment que les éditeurs fassent un effort. Le mien est particulièrement anti-ergonomique. Pour intégrer le moindre élément au DMP, j'y passe au moins cinq minutes !

L'autre souci majeur, c'est qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de DMP qui sont ouverts mais trop peu sont alimentés. La Sécu en ouvre beaucoup dans ses points d'accueil, les pharmaciens aussi. Mais au final, trop peu d'information y est contenue. Les professionnels de santé ne l'utilisent pas. Les laboratoires de biologie n'intègrent pas forcément leurs résultats. Même chose pour les radiologues. Et c'est encore pire au niveau hospitalier ! Alors pourquoi les médecins généralistes passeraient-ils du temps à remplir un dossier qui est presque vide ?

Comment pourrait-on inciter les professionnels à l'utiliser ?

La première étape, c'est que les hospitaliers remplissent le DMP. S’ils montrent l'exemple, derrière, les généralistes suivront. Ce qui nous intéresse principalement, c'est précisément d'avoir accès aux examens réalisés à l'hôpital et aux comptes rendus d'hospitalisation dès la sortie du patient et non pas trois semaines après.

Il faudrait aussi donner du temps aux médecins pour l'alimenter. On parle beaucoup des assistants médicaux aujourd'hui, on pourrait leur donner cette mission… Mais on ne peut pas affirmer aux généralistes qu'ils ont intérêt à utiliser le DMP sans leur donner le temps pour le faire et la rémunération qui va avec.

Cela pourrait se faire de différentes manières. Par le forfait structure ou le forfait patientèle par exemple. Il existait il y a quelques années une dotation spécifique pour la réalisation de synthèses annuelles pour nos patients en affection de longue durée. Beaucoup de choses sont envisageables. Aujourd'hui, les généralistes n'ont aucun intérêt à alimenter le DMP.

L'assurance-maladie compte pourtant beaucoup sur les généralistes, notamment dans l'élaboration du volet de synthèse médicale censé être le sommaire du DMP…

Ce n'est pas un sommaire, simplement une liste d'antécédents médicaux et d'éléments de consultation. Je pense que ça n'intéresse pas grand monde. Quand on envoie un patient chez le spécialiste, on l'accompagne déjà d'un courrier qui résume justement ses antécédents, son traitement, etc. À part peut-être une situation d'urgence vitale où la personne est incapable de communiquer, je ne vois pas l'intérêt du volet de synthèse médicale.

Il vaudrait mieux permettre de structurer le dossier. Le problème aujourd'hui, c'est que lorsqu'on intègre un nouvel élément, il se met « en vrac » à la suite des autres. Il faudrait pouvoir hiérarchiser les informations. Dès que le DMP contient 20 ou 30 documents différents, on est obligé de les ouvrir un par un. Et il n'y a pas de moteur de recherche [la création d'un tel moteur de recherche est un besoin identifié par la CNAM, NDLR].

La deuxième chose, c'est que quand on reçoit un patient qui a déjà son DMP, il faut le paramétrer pour vous faire reconnaître comme médecin traitant. Ça fait une manipulation supplémentaire avant même de pouvoir accéder aux informations qui y sont compilées. Au niveau des fonctionnalités, il va falloir développer de nouvelles choses très rapidement.

Comment pourrait-on l'améliorer ?

Il faudrait mettre autour d'une table tous les professionnels concernés, ce que l'assurance-maladie n'a jamais fait. J'y inclus les éditeurs de logiciel et les informaticiens de la CNAM. Car l'outil tel qu'il est aujourd'hui n'est tout simplement pas utilisable.

Sur la mise en œuvre, on ne peut faire qu'un constat d'échec. J'ai à plusieurs reprises sollicité la CNAM, par l'intermédiaire de ma caisse primaire, pour lui faire remonter mes impressions. Mais visiblement, ça ne l'intéressait pas. Il n'y a jamais de contact direct ou de dialogue sur ce qui pourrait être amélioré. C'est dommage d’avoir toujours des gens qui réfléchissent à Paris et des gens qui travaillent en province sans aucune communication entre les deux.

* Le Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR) est une intersyndicale fédérant 15 structures régionales adhérentes

Propos recueillis par Martin Dumas Primbault Exergue1/ La première étape, c'est que les hospitaliers remplissent le DMP Exergue2/ Il faudrait aussi donner du temps aux médecins pour l'alimenter

Source : Le Quotidien du médecin: 9702