Il n’existe que peu d’études incluant un nombre suffisant de personnes et représentatives de la population française, permettant d’estimer la prévalence des troubles musculosquelettiques (TMS), difficiles à identifier dans les bases de données médico-économiques. « En France, nous manquons d’informations sur la prévalence des TMS. À ce titre, la cohorte Constances (1) est intéressante pour obtenir des données. Il s’agit d’une cohorte épidémiologique généraliste, constituée d’un échantillon représentatif d’adultes âgés de 18 à 69 ans, tirés au sort parmi les assurés du régime général de la Sécurité sociale », explique le Dr Florian Bailly (rhumatologue au centre de la douleur, hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris). Les données de prévalence obtenues, après redressement par les coefficients de pondération, sont issues de questionnaires remplis à l’inclusion, dont l’un est dérivé du Nordic Musculoskeletal Questionnaire. Un syndrome douloureux diffus chronique a été défini par des douleurs dans au moins quatre des six zones (lombaire, cervicale, épaule, genou, main, coude), pendant plus de 30 jours au cours des douze derniers mois. Les douleurs chroniques modérées à sévères correspondent à une cotation d’au moins quatre sur dix, sur une échelle numérique de la douleur au moment du questionnaire.
Lombalgie, gonalgie et cervicalgie en tête
Au total, 104 247 personnes ont été incluses entre 2013 et 2017. La prévalence annuelle des syndromes douloureux diffus était de 7,5 % (7,3-7,7). « Les douleurs lombaires étaient la localisation la plus fréquente. Au cours des douze derniers mois, elles étaient permanentes chez 13,65 % des participants et présentes pendant plus de 30 jours dans 13,36 % des cas. Au total, 27 % de Français souffraient donc de lombalgies chroniques et douloureuses. La prévalence des douleurs chroniques modérées à sévères (échelle visuelle analogique [EVA] ≥ 4) était de 18,6 % (18,4-18,9) pour la lombalgie », souligne le Dr Florian Bailly. La prévalence estimée de chirurgie lombaire était de 4,2 % (4,1-4,4) et celle des changements de poste de travail pour problème lombaire de 3,5 % (3,4-3,6).
En deuxième position, on trouve les gonalgies avec près de 21 % de la population en souffrance de façon chronique (plus de 30 jours au cours des douze derniers mois), et dans 13 % des cas, la douleur est modérée à sévère. De plus, 17,5 % de la population française souffre de cervicalgies chroniques, avec une douleur (EVA ≥ 4) dans près de 11,5 % des cas. Les scapulalgies étaient présentes de façon chronique chez 17,6 % des Français et les douleurs chroniques des mains et des poignets chez 15,7 %.
Éviter la chronicisation des douleurs
« En conclusion, la prévalence des TMS dans la population française est élevée, notamment pour les douleurs chroniques d’intensité modérée à sévère, ce qui souligne la nécessité d’améliorer leur dépistage, leur prévention et leur prise en charge, déclare le Dr Bailly. On ne peut pas éviter d’avoir des douleurs ponctuelles, mais cette étude révèle que les douleurs sont souvent persistantes. Il faut donc identifier les patients à risque accru de passage à la chronicité, pour mettre en place une prise en charge précoce, spécifique et plus intensive. C’est d’ailleurs ce que soulignent les dernières recommandations de la Haute Autorité de santé pour la lombalgie. Cette étude pourrait ainsi servir de base pour d’autres essais proposant des programmes d’intervention… ».
L’Assurance-maladie a déjà lancé, ces dernières années, de nombreuses campagnes d’information et de sensibilisation sur la lombalgie. Mais il est encore trop tôt pour connaître leurs effets sur la prévalence.
Des facteurs de risque psychosociaux
Le Dr Florian Bailly a également mené une autre étude à partir de la cohorte Constances (196 163 personnes dont 26 % présentaient une lombalgie significative), afin d’évaluer les facteurs de risque démographiques, cliniques, sociaux et professionnels de lombalgie chronique. Une prévalence maximale est observée vers 50 ans. Les femmes ont une augmentation du risque de lombalgie chronique de 36 % par rapport aux hommes. Mais le facteur de risque le plus important est la dépression, qui majore le risque de 78 %. Les autres facteurs délétères sont le tabagisme, l’indice de masse corporelle, le faible niveau d’étude, la situation professionnelle (demandeur d’emploi, pas de travail pour raison de santé…).
Les principaux facteurs protecteurs retrouvés sont l’activité physique, la durée de sommeil et le fait d’être diplômés (bac +4/+5 : diminution du risque de 35 %). Ces résultats confirment certaines données antérieures.
(1) Bailly F et al. SFR 2022, abstract 107.
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