« DIRIEZ-VOUS que la nourriture domine votre vie ? ». Voilà une des questions à poser à toutes les ados qui frappent à la porte de votre cabinet. Les jeunes filles de 12-18 ans étant considérées comme une « population à risque » d’anorexie mentale. C’est ce que préconisent les recommandations HAS 2010 pour lutter contre cette maladie qui touche aujourd’hui 1 à 3 % de la population adolescente de notre pays. Le médecin traitant s’y voit attribuer une place de choix, centrale dans la prise en charge de l’anorexie mentale. Mission n° 1 : repérer la maladie. Dépister le plus tôt pour agir au plus vite. De la prévention secondaire en somme, qui vise à éviter l’évolution vers une chronicité. Car plus la maladie dure, plus la mortalité est élevée : 10 % de décès en moyenne à 10 ans d’évolution, des chiffres qui font froid dans le dos.
Si le trépied symptomatique de l’anorexie mentale est aujourd’hui bien connu – Anorexie, Amaigrissement, Aménorrhée – il n’en est pas moins difficile à identifier. Surtout à ses débuts, car la maladie évolue le plus souvent à bas bruit. L’enjeu du repérage est de dépister le trouble alimentaire de façon précoce, c’est-à-dire avant même que les critères diagnostiques (DSM-5 ou CIM-10) ne soient remplis. S’agit-il de s’inquiéter de toute adolescente en plein régime ? Non. « Tout problème alimentaire ne veut pas dire trouble alimentaire. Plus un enfant est jeune et plus il exprime de choses sur le plan alimentaire », prévient le Dr Nathalie Godart.
« Il faut prendre au sérieux sans dramatiser ».
Si un tiers des ados en France déclare faire un régime, ou devoir en faire, le taux d’évolution vers une anorexie mentale est faible. Alors comment faire la part du normal et du pathologique ? D’abord, en recueillant le discours des parents, ensuite en interrogeant l’adolescente. Les recommandations HAS proposent au médecin traitant une liste de questions. Parmi celles-ci, « Avez-vous un problème avec votre poids ou avec votre alimentation ? ». Si la réponse est oui, l’examen clinique doit rechercher une perte de poids récente ou une cassure de la courbe de croissance. Autre élément à rechercher : l’utilisation ou non d’une méthode pour réguler le poids. Hyperactivité physique, vomissements et restriction alimentaire en sont les plus fréquentes. L’existence de l’un de ces comportements doit mettre la puce à l’oreille, surtout en cas de souffrance psychologique. Le Dr Nathalie Godart insiste : « Lorsqu’on constate que l’hyperactivité est surinvestie par l’adolescente et que ce comportement répond à des préoccupations pondérales excessives, il faut s’alerter. » Même chose pour les autres méthodes, qu’elles soient restrictives ou purgatives. Si une inquiétude clinique ou parentale s’exprime, la vigilance est de mise. « Il faut prendre au sérieux sans dramatiser », conseille-t-elle. La recette n’est autre qu’une bonne alliance thérapeutique. Revoir la patiente, réévaluer son état clinique à quelques jours ou semaines d’intervalle, surveiller le poids. Et surtout, informer et éduquer la patiente – et ses parents – sur les risques d’un tel comportement.
Une prise en charge pluridisciplinaire.
Lorsque les difficultés psychologiques l’emportent malgré cet accompagnement, la prise en charge doit se compléter rapidement d’un suivi psychologique. Un mot d’ordre : pluridisciplinarité. Avec deux intervenants minimum, l’un responsable du suivi psychologique, l’autre du suivi somatique, le suivi bifocal tire des bénéfices de sa complémentarité. C’est le cheval de bataille du Dr Nathalie Godart : « Même si l’anorexie mentale est une maladie psychiatrique, il est indispensable de surveiller le poids et les retentissements physiques. L’examen clinique fournit des éléments de réalité qui peuvent faciliter la prise de conscience du trouble. Il ne faut pas l’occulter. »
Cette position de somaticien est prise le plus souvent par le pédiatre ou le médecin traitant, également tenu pour responsable de l’orientation et de la coordination des soins. Il est en quelque sorte le garant d’une cohérence et d’une continuité dans les soins.
Une ligne téléphonique pour orienter.
Outre l’exigence d’un suivi bifocal, d’autres prises en charge pourront être associées au cas par cas. En tête de liste, les thérapies familiales et le suivi diététique pour avoir démontré leur intérêt clinique dans diverses études. En cas de doute clinique ou de difficultés d’orientation, une ligne téléphonique Anorexie Boulimie Info Écoute (cf encadré) répond aux questions des patients, des familles, et de leur médecin. À utiliser sans hésitation.
* Responsable de l’unité d’hospitalisation pour Troubles du Comportement Alimentaire de l’Institut Mutualiste Montsouris, vice-présidente de l’AFDAS-TCA et du réseau TCA Francilien
**AFDAS-TCA : Association française pour le développement des approches spécialisées des Troubles du Comportement Alimentaire
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