« Après un déclin irrationnel ces trente dernières années, le lithium a retrouvé actuellement sa première place dans le traitement du trouble bipolaire », raconte le Dr Marc Masson (CH Sainte-Anne, Paris). Dans les années 1990, l’arrivée sur le marché des antipsychotiques et la commercialisation du divalproate de sodium (Dilvacote), présentés comme stabilisateurs de l’humeur, vont faire s’effondrer la prescription de lithium. Aux États-Unis, entre 1992 et 1999, l’utilisation chute de 40 %, quand celle du valproate progresse de 240 % !
Une étude observationnelle européenne sur la prise en charge des patients bipolaires, publiée en 2014, avait montré que seuls 25 % des patients en Europe recevaient du lithium (1). En France, ils étaient encore moins nombreux, et la prévalence du suicide était la plus élevée.
Le lithium est aujourd’hui le traitement de référence du trouble bipolaire. Il existe une correspondance entre les hypothèses physiopathologiques du trouble bipolaire de type 1 et les cibles d’action de ce métal.
Les caractéristiques cliniques permettant de prédire une meilleure sont la polarité maniaque et les antécédents familiaux de bonne réponse au lithium. Mais 30 % de ces patients ne répondent tout de même pas. Il existerait des facteurs génétiques.
Il faut réduire la posologie chez le sujet âgé bipolaire et un suivi biologique (rénal et calcémie) rapproché est conseillé. Une hypercalcémie secondaire peut en effet être observée chez 30 % des patients traités. La tolérance et l’efficacité sont bonnes chez l’enfant et l’adolescent.
C’est aussi la molécule qui présente le plus de recul et le plus de données chez les femmes enceintes. Chez une patiente qui présente une bonne réponse au lithium et qui désire être enceinte, il est possible de le maintenir, avec une éventuelle fenêtre dans le premier trimestre de grossesse. Une échographie cardiaque fœtale est recommandée. Des effets indésirables rares (diabète gestationnel, hypertension, toxémie, oligohydramnios, polyuropolydipsie…) sont décrits, en cas de polythérapies le plus souvent. Il faut privilégier la monothérapie.
Les autres thymorégulateurs
Les autres stabilisateurs de l’humeur, tels que le valproate de sodium (Dépakine), le divalproex (Dépakote) ou le valpromide (Dépamide) sont indiqués dans le traitement curatif de la manie et de l’hypomanie ainsi qu’en maintenance, avec un intérêt essentiellement chez les hommes et les femmes ménopausées.
Du fait des risques d’utilisation pendant la grossesse, ils ne doivent pas être prescrits chez les filles, les adolescentes, les femmes en âge de procréer et les femmes enceintes, sauf en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux alternatives médicamenteuses.
La lamotrigine (Lamictal) est indiquée dans le traitement de maintenance du trouble bipolaire de type 1 à polarité dépressive dominante ; il est nécessaire d’adapter la posologie pendant la grossesse et il y aurait une augmentation du risque de fente labiopalatine et de retards neurodéveloppementaux selon certaines études.
En ce qui concerne les antipsychotiques, les formes injectables sont à éviter chez la femme enceinte, car elles provoquent hypotension et anomalies du rythme cardiaque fœtal. Les données sont insuffisantes pour les antipsychotiques plus récents. Il n’existe, a priori pas de risque accru de malformations avec les phénothiazines, et l’halopéridol.
Les alternatives en première ligne
En 2018, les dernières recommandations internationales sur la prise en charge des troubles bipolaires sont celles du Canada (Canmat) et de l’International society for bipolar disorders (ISB) ont créé des classements hiérarchiques pour les traitements de première et de deuxième intentions de la manie et de la dépression, et pour la maintenance dans le trouble de type 1 (2).
Le lithium, la quétiapine, l’aripiprazole, la rispéridone, le divalproex, seuls ou en association, sont recommandés en première intention de la manie aiguë.
Concernant la dépression dipolaire, on choisira en première intention le lithium, la quétiapine, la lamotrigine, les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine (ISRS), l’olanzapine associée à la fluoxétine ou le divalproex.
Pour le traitement de maintenance, sont recommandés, en première intention, le lithium, la quétiapine, le divalproex (niveau 2 de prévention de la dépression), la lamotrigine (niveau 2 de prévention de la manie), seuls ou en association. Même si la monothérapie est un objectif, en pratique, la polythérapie est plus efficace en prévention des rechutes.
« Ces recommandations sont utiles pour orienter la décision, mais elles doivent toujours s’appuyer sur une démarche clinique intégrative personnalisée. Il manque encore des biomarqueurs prédictifs de la réponse thérapeutique », souligne le Dr Masson (CH Sainte-Anne, Paris).
Exergue : « Il manque encore des biomarqueurs prédictifs de la réponse thérapeutique »
Session « Régulateurs de l’humeur : quoi de neuf ? » (1) Bellivier F et al. Encéphale 2014;40:392-400 (2) Yatham L. N. Canadian network for mood and anxiety treatments (CANMAT) and international society for bipolar disorders (ISBD) 2018 guidelines for the management of patients with bipolar disorder. Bipolar Disorders 2018;20(2):97-170
Article précédent
Nombreuses voies de recherche dans la dépression
Article suivant
Conséquences psychiatriques du Covid
La dépression résistante revue et corrigée
Nombreuses voies de recherche dans la dépression
Bipolarité : retour en force du lithium
Conséquences psychiatriques du Covid
La dépression du post-partum en hausse
L’innovation en danger
Grossesse et schizophrénie
Vortioxétine en vie réelle
Un marqueur de crise suicidaire
Les SMS du congrès de l’Encéphale 2023
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?