Comment le goût vient aux bébés

Publié le 22/05/2012
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BB et petit pot - Photo Phanie

BB et petit pot - Photo Phanie
Crédit photo : Phanie

L’enfant qui vient au monde a déjà vécu un certain nombre d’expériences olfactives et gustatives dont il garde la mémoire. Après la naissance, il est exposé à toute une gamme d’odeurs et de saveurs qui influeront sur ses préférences, parfois durant toute la vie.

DURANT LA VIE FŒTALE, l’enfant est exposé à toute une palette d’odeurs et de saveurs par l’intermédiaire du liquide amniotique (il en ingurgite et régurgite trois quarts de litre par jour en fin de gestation). Ainsi, tout au long de la vie intra-utérine, l’enfant se forge un goût, des préférences, qu’il manifestera dès premiers jours de vie. C’est ce que montre bien une expérience réalisée dans le laboratoire de Benoît Schaal (CNRS-Université de Bourgogne). Il a été demandé à un groupe de femmes enceintes de consommer des aliments et boissons à l’anis (pastis exclu) durant les dix jours précédant l’accouchement tandis qu’un autre groupe n’en consommait pas ; le comportement des bébés de chaque groupe, évalué à 3 heures de vie puis 4 jours après, s’est révélé très différent. Lorsqu’on leur a présenté deux cotons, l’un imprégné d’une odeur d’anis, l’autre d’une odeur neutre, les bébés exposés à l’anis avant la naissance ont tourné la tête vers le coton anisé tandis que ceux dont la mère n’avait pas consommé d’anis n’ont pas montré pas de préférence. Le même constat a été fait pour des arômes d’ail, de carotte… Ainsi, à 4 jours de vie, la mémoire acquise dans les tout derniers jours de la gestation est encore active.

Après la naissance, l’enfant est très réceptif aux odeurs et poursuit son apprentissage. Ainsi, des enfants exposés pendant trois jours à une odeur de camomille durant la tétée (application sur le sein de la mère d’une pommade à la camomille) manifestent une préférence nette pour cette odeur par rapport à une odeur témoin ; ceux qui n’y ont pas été exposés restent indifférents. 

Les nouveau-nés préfèrent-ils l’odeur du lait maternel  ?

Des nourrissons âgés de 4 jours allaités et exposés à une odeur de lait humain, autre que celui de leur mère, et à une odeur de lait infantile manifestent une attirance beaucoup plus forte (tournent la tête vers le stimulus, ouvrent la bouche, ont des mouvements de succion) pour le lait humain. On pourrait penser en toute logique qu’ils s’orientent vers l’odeur qui leur est la plus familière. En fait, cette préférence pour le lait humain est également constatée chez des enfants nourris au biberon, que l’autre élément du choix soit leur propre lait infantile ou un lait différent. 
Une autre expérience montre que des nouveau-nés de deux jours exposés à l’odeur de leur propre liquide amniotique et à l’odeur du colostrum ne manifestent pas de réponse différenciée. Deux jours plus tard, si on leur soumet l’odeur de leur liquide amniotique d’un côté et celle du lait maternel du 4e jour de l’autre, ils s’orientent préférentiellement vers le lait maternel, ce qui témoigne clairement d’un apprentissage.
Chez les nourrissons nourris avec un lait artificiel le résultat est différent : au 4e jour de vie, comme au 2e jour, ils préfèrent l’odeur du liquide amniotique à celle de leur formule infantile. Ce qui ne signifie en aucun cas que l’odeur du lait est répulsive car lorsqu’ils sont soumis à cette odeur et à une odeur neutre (eau) ils manifestent une nette préférence pour le lait. L’apprentissage se fait donc bien, mais probablement à un rythme différent.
Enfin il est possible que les acquisitions olfactives qui sont très précoces dans la vie puissent avoir une fonction d’entraînement sur d’autres modalités sensorielles plus tardives, en particulier sur la vision. On a constaté ainsi que l’enfant qui tête ouvre davantage les yeux quand il sent l’odeur du sein maternel que lorsqu’il ne la sent pas (le sein étant recouvert d’un film plastique transparent qui annule son odeur).

Des expériences olfactives précoces au goût de l’âge adulte

L’attirance pour l’odeur de camomille constatée chez les nourrissons de quelques jours qui y ont été exposés lors des tétées se retrouve à 7 mois et à 21 mois, témoignant d’une mémoire à long terme des situations vécues très précocement dans la vie. Certains souvenirs semblent même persister très longtemps : des adultes, âgés en moyenne de 28 ans, exposés à de la vanille de manière répétitive dans l’enfance (alimentation avec un lait aromatisé à la vanille) à qui l’on propose une odeur de ketchup aromatisé à la vanille et celle un ketchup standard opte pour le ketchup vanillé alors que des adultes qui ont été allaités au sein choisissent le ketchup standard.

Références : 

- Aspects sensoriels de l’alimentation infantile. Numéro Hors série coordonné par Vincent Boggio et Benoist Schaal Med Enf 2010; 30. 

- Benoist Schaal et Mathieu Nowak : l’éveil des papilles La Recherche 2001 ; n° 443

- Benoist Schaal. Conférence au collège de France 24 janvier 2012. www.college-de-france.fr

Dr H. C.

Source : lequotidiendumedecin.fr