Alors que le Gouvernement travaille à la mise en œuvre du « reste à charge zéro » pour l’optique, les prothèses dentaires et auditives, plusieurs études publiées ces derniers mois viennent éclairer d’un jour nouveau celui de ces trois secteurs le moins connu : l’audioprothèse.
Le déficit auditif est l'une des affections les plus courantes du vieillissement puisque, après 50 ans, une personne sur trois est concernée et une sur deux après 75 ans. Il affecte tous les aspects de la vie d'une personne : son état de santé, sa santé mentale, sa vie sociale et sa qualité de vie en général. On imagine difficilement d'autres conséquences du vieillissement qui touchent tant de gens et ont des effets aussi profonds.
Dans une étude publiée en juillet 2017 dans le Lancet [1], les auteurs estimaient que la prise en charge du déficit auditif était le plus important facteur modifiable susceptible de prévenir la démence. En janvier 2018, une première étude au long cours de l’Inserm [2] confirmait l’existence, chez les sujets rapportant des problèmes auditifs, d’un risque accru de dépression, mais aussi de dépendance et de démence. Elle montrait surtout pour la première fois que, pour les sujets utilisant des appareils auditifs, le sur-risque lié aux « 3 D » (dépression, dépendance, démence) était absent.
Récemment [3], des chercheurs ont également constaté que les personnes âgées malentendantes qui utilisaient des appareils auditifs étaient moins susceptibles d’avoir été admises à l’hôpital ou aux urgences, par rapport à celles non appareillées. De plus, celles qui avaient été hospitalisées et portaient des appareils auditifs avaient des séjours plus courts que celles qui n’étaient pas équipées. Sont également documentées des baisses de consommation de médicaments et de visites médicales, dès les premiers mois d’équipement chez les retraités. Chez les actifs, l’appareillage est associé à un meilleur taux d’emploi et de plus hauts revenus.
Ces résultats corroborent les études médico-économiques établissant que le rapport entre le coût de l’équipement en audioprothèses et les économies sur les dépenses de santé est de l’ordre de un à dix. C’est un ratio rarissime que l’on ne constate que pour la vaccination.
Un angle mort de notre protection sociale
L’amélioration de la qualité de vie est évidente pour les usagers eux-mêmes puisque, malgré les 1 000 euros par oreille de reste à charge moyen qu’ils connaissent aujourd’hui dans notre pays, plus de deux millions d’entre eux sont équipés. Pourtant, non réévalué depuis 1986, le remboursement de l’audioprothèse pour les adultes est 5 à 7 fois plus faible en France que dans les pays voisins, avec, à la clé, des inégalités d’accès majeures, notamment pour les deux millions de retraités et de chômeurs qui n’ont pas les moyens d’avoir une mutuelle complémentaire.
Les appareils auditifs, bien de nécessité que l’on n’acquiert que par stricte obligation, sont dans un angle mort de notre protection sociale avec 60 % de reste à charge. Les dépenses actuelles de l’Assurance maladie qui leur sont consacrées s’élèvent ainsi à 150 millions d’euros par an. Un rattrapage partiel de nos voisins nécessiterait un investissement de 80 millions d’euros par an pendant 4 ans pour un total de 320 millions, soit une dépense globale de 470 millions d’euros en 2022. À titre de comparaison, en Allemagne les assurances maladie obligatoires ont dépensé 925 millions d’euros en 2016. Accompagné d’un effort complémentaire des professionnels, cet investissement permettrait l’accès sans reste à charge à des équipements et un suivi de qualité pour environ 500 000 à 600 000 malentendants supplémentaires, aujourd’hui économiquement empêchés.
Des économies à la clé
Alors que l’investissement dans l’audioprothèse procure un « rendement » exceptionnel pour les fonds publics, il répond en outre à deux des priorités annoncées par le Ministère de la Santé : prévention tout au long de la vie et inégalités sociales d’accès à la santé. Rares sont les facteurs facilement « modifiables », ayant à la fois un effet bénéfique et rapide sur la cognition, la santé mentale, la dépendance, l’espérance de vie en bonne santé, l’emploi, et, au-delà, sur les comptes sociaux… Dans le contexte, faut-il le rappeler, du vieillissement de la population, cette mesure fera sentir ses effets bénéfiques dans de multiples dossiers gouvernementaux : économies dans les soins de ville et à l’hôpital, maintien à domicile des personnes âgées et moindre recours aux EHPAD, amélioration du taux d’emploi des personnes souffrant d’un handicap auditif…
La pertinence de l’amélioration du remboursement de l’audioprothèse est ainsi largement confirmée et sera décisive, notamment dans les stratégies de prévention liées au « bien vieillir ».
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[1] Commission « Dementia prevention, intervention, and care », The Lancet, 19 juillet 2017, 62 pages. http://www.thelancet.com/commissions/dementia2017
[2] Death, Depression, Disability, and Dementia Associated With Self-reported Hearing Problems: A 25-Year Study, Hélène Amieva, Camille Ouvrard, Céline Meillon, Laetitia Rullier, Jean-François Dartigues, The Journals of Gerontology, 03.01.2018 : https://doi.org/10.1093/gerona/glx250
[3] Mahmoudi E, Zazove P, Meade M, McKee MM. Association Between Hearing Aid Use and Health Care Use and Cost Among Older Adults With Hearing Loss. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. Published online April 26, 2018. doi:10.1001/jamaoto.2018.0273
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