Parmi les anticancéreux à activité dite ciblée, aujourd’hui deux classes – les anti-mTor (everolimus, dérivés de la rapamycine) et les inhibiteurs de tyrosine kinase (IKT : sorafenib, sunitinib…) – sont associées à un risque de complications métaboliques important, marqué par hyperglycémies et des hyperlipidémies fréquentes et parfois sévères (grade 3-4). « En effet si leur activité est ciblée par comparaison à une chimiothérapie, exerçant par définition une activité cytotoxique sur toutes cellules en division, ces nouveaux anticancéreux qui visent des mécanismes intimes – voies de signalisation, régulation... – impliqués dans la cancérogénèse, sont actifs sur toutes les cellules, y compris celles non en division. D’où l’émergence de nouvelles toxicités comme les toxicités métaboliques des anti-mTor et IKT, liées à des interactions avec les voies de signalisation des métabolismes glucidique et lipidique », explique le Pr Bruno Verges (Dijon).
Or ces nouvelles classes vont être de plus en plus largement utilisées avec l’extension de leurs indications. Ainsi, l’everolimus (Afinitor), déjà agréé dans les cancers rénaux et les cancers du pancréas avancés, vient récemment de l’être dans le cancer du sein (RE+, HER2–) récidivant après anti-aromatase en association à la chimiothérapie. Ils vont aussi être utilisés plus longtemps et chez des sujets ayant une plus grande espérance de vie, vue l’amélioration des survies. Enfin, ce type de complications est relativement nouveau pour les cancérologues, plus habitués aux toxicités hématologiques, digestives... Il devenait donc urgent de se pencher sur la gestion de ces complications métaboliques. « Elles peuvent en effet non seulement grever à long terme le pronostic cardiovasculaire des patients mais aussi réduire leurs chances de survie à plus court terme, via l’induction d’un traitement suboptimal : réductions et/ou espacements de dose, interruptions, arrêts définitifs de l’oncothérapie », précise le Pr Vergès.
Anti-mTor : hypertriglycéridémies et hypercholestérolémies précoces et persistantes...
«Aux posologies carcinologiques, les anti-mTor – temsirolimus (Torisel), everolimus (Afinitor, ...) génèrent des hyperlipidémies. Celles-ci surviennent précocement, dès les deux premiers mois de traitement, elles persistent, et elles sont fréquentes », résume le Pr Verges. Dans les études menées en cancérologie, le traitement par un anti-mTor est associé à un surrisque relatif important d’hypertriglycéridémie (RR = 2), y compris sévère (TG› 7,5 g/l : RR = 2) mais aussi d’hypercholestérolémie (RR = 3), y compris sévère (RR=7) (2).
Globalement, versus placebo, aux posologies utilisées en cancérologie – dix fois supérieures à celles des traitements anti-rejet chez les greffés, où certaines de ces molécules sont indiquées – le cholestérol total augmente en moyenne de 25 à 65 %, le LDLc de 70 % et les triglycérides de 55 à 85 % suivant les études.
« Le mécanisme physiopathologique impliqué est dominé par une inhibition de la lipoprotéine lipase, enzyme clé de dégradation des triglycérides ; à laquelle vient s’ajouter une réduction d’expression du récepteur aux LDLc, qui diminue leur métabolisme », précise le Pr Vergès.
... Mais hyperglycémies d’installation progressive
« Outre le risque lipidique, les anti-mTor, aux posologies carcinologiques, sont aussi de grands pourvoyeurs d’hyperglycémies. En revanche, contrairement aux complications lipidiques, ces hyperglycémies non seulement s’installent très progressivement – une surveillance prolongée est donc nécessaire – mais peuvent être relativement tardives. Résultat, plus longtemps les traitements sont poursuivis, plus de patients en développent », explique le Pr Vergès. Dans les essais menés de cancérologie, le traitement par un anti-mTor multiplie globalement par trois le risque d’hyperglycémie (RR = 3) et par cinq le risque d’hyperglycémie sévère (› 5 g/l : RR = 5).
En moyenne, 12 à 50 % des patients sous anti-mTor font des hyperglycémies et 4 à 12 % des hyperglycémies sévères de grade 3 et 4 ([2,5-5] et› 5 g/l respectivement).
« Le mécanisme physiopathologique en jeu est double. Il est largement dominé par une importante insulinorésistance induite par les anti-mTor, à laquelle s’additionne une légère réduction de l’insulinosécrétion », précise le Pr Vergès.
IKT : hyper- et hypoglycémies
Les IKT visant la partie intramembranaire de la protéine – type sorafenib (Nevaxar), sunitinib (Sutent), etc. – sont associées à un risque glycémique majeur. En revanche, ceux visant la partie extra-membranaire – type erlotinib (Tarceva) – ne génèrent pas cet effet.
Les complications glycémiques liées à cette sous-classe d’IKT réunissent, de manière assez inattendue, non seulement des hyperglycémies (15 à 40 %), mais aussi des hypoglycémies majeures, observées notamment sous sunitinib (Sutent), imatinib (Glivec), pazopanib (Votrient).
« La physiopathologie de ces complications métaboliques est encore mal comprise. Et le délai de survenue assez variable. Les hyperglycémies surviennent la plupart du temps dans les six premiers mois mais on a aussi des diabètes d’apparition plus tardive. Et donc un risque, tout au long du traitement », prévient le Pr Vergès.
D’après un entretien avec le Pr Bruno Vergès, qui ne déclare pas de conflits d’intérêts, et les communications de R. Coriat et B. Verges. Thérapies ciblées en cancérologie : prise en charge des conséquences métaboliques. SFD 2014.
(1) Lombard-Bohas C et al. Bull cancer 2014, fev21.
(2) Sivendran S et al. Cancer Treatment Reviews 2014; 40:190-96.
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