Vers des vaccins individualisés contre les cancers

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Publié le 15/11/2024
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Pourrait-on, à partir de l’ADN d’une tumeur, préparer un vaccin viral individualisé pour permettre à un malade de s’en débarrasser et éviter les récidives ? La Haute Autorité de santé vient d’autoriser une étude randomisée dans les cancers ORL.

Le vecteur viral permet de maintenir la réponse dans le temps

Le vecteur viral permet de maintenir la réponse dans le temps

Lorsque des cellules cancéreuses deviennent anormales, elles expriment (dans un certain nombre de cas) des antigènes anormaux à cause des mutations qui sont à leur origine. Ils peuvent être reconnus par certaines cellules du système immunitaire spécifiques, les LT8 cytotoxiques. En analysant les mutations d’une tumeur opérée, on pourrait sélectionner celles qui produiraient les antigènes susceptibles d’éduquer le système immunitaire du patient contre ce cancer pour que son organisme soit immunisé, et ainsi prévenir toute récidive, à la manière d’une vaccination : c’est le principe de l’immunothérapie individualisée.

Encore beaucoup de questions fondamentales

Mais les cellules cancéreuses peuvent présenter de quelques dizaines à plusieurs milliers de mutations anormales. La sélection des meilleurs antigènes pour fabriquer les meilleurs vaccins est donc cruciale. Les chercheurs travaillent sur des associations de technologies pour y arriver. Première d’entre elles : le séquençage à haut débit, qui étudie la totalité de l’exome (la partie des gènes servant à fabriquer des protéines). « Deux exomes sont réalisés pour chaque patient : un des cellules normales et un des cellules cancéreuses. Des algorithmes d’IA nous aident ensuite à faire une première sélection d’environ 100 à 300 candidats. Puis, à partir de banques d’informations génétiques, nous sélectionnons, parmi ces candidats, des antigènes pour chaque patient », explique le Pr Jean-Pierre Delord (Oncopole, Toulouse).

Cette façon de sélectionner les antigènes est-elle toutefois la plus pertinente ? « Nous étudions de plus en plus profondément la réponse immunitaire des patients vaccinés afin de savoir si nous avons sélectionné les meilleurs antigènes possibles », poursuit l’oncologue, en soulignant que ceux-ci peuvent, ou non, être en rapport avec une mutation en cause dans la survenue du processus tumoral.

Un des défis scientifiques du XXIe siècle

Pr Jean-Pierre Delord

Autre question de recherche : la taille idéale de peptide à sélectionner pour qu’il soit reconnu par le système immunitaire, ce qui revient à identifier l’endroit où l’antigène porte l’épitope (partie de la protéine reconnue par le récepteur de LT8) qu’il faut sélectionner. À un acide aminé près, la reconnaissance de l’antigène par le système immunitaire peut devenir impossible.

« Enfin, nous étudions l’interaction du système HLA des patients sur les antigènes pour savoir si certains correspondraient mieux à certains patients, explique le Pr Delord. Nos caractéristiques intrinsèques en matière de défense immunitaire jouent probablement sur l’efficacité de l’immunothérapie individualisée, mais cette énigme représente un des défis scientifiques du XXIe siècle. »

Une étude clinique de phase 1

La biotech française Transgene a développé une immunothérapie individualisée, TG4050, qui repose sur un vecteur viral optimisé visant les cibles tumorales les plus pertinentes de chaque patient.

Une étude de phase 1 auprès de patients ayant une tumeur ORL a permis de démontrer que cette vaccination hyperpersonnalisée permettait bien d’obtenir une réponse immunitaire (des LT8 reconnaissant les antigènes de TG4050), avec une réponse durable dans le temps, ce qui est indispensable sous peine de récidives. « À ce jour, il n’y a pas eu de rechute chez nos patients inclus dans cette phase 1. C’est d’ailleurs un avantage majeur du vecteur viral, comparativement aux stratégies avec de l’ARNm, qui ne permettent pas d’obtenir de réponse biologique durable », souligne le Pr Delord.

Pour savoir si cette stratégie est réellement efficace, avec une protection suffisante pour éviter les rechutes, une étude comparative vient d’être lancée : « nous sommes en phase d’inclusion pour comparer, chez des patients opérés de cancer ORL, vaccination par le TG4050 et surveillance. Pour l’instant, une vingtaine de patients sont entrés dans cette étude destinée à apporter la preuve de l’efficacité du TG4050, indique le Pr Delord. Les résultats ne seront pas connus avant deux ou trois ans ».

Il existe d’autres essais d’immunothérapie individualisée, notamment en pneumologie, mais avec des vaccins ARNm (d’où la question de la durabilité) ; des développements dans d’autres tumeurs avec le TG4050 devraient suivre.

Entretien avec le Pr Jean-Pierre Delord (Oncopole, Toulouse)

Dr Nathalie Szapiro

Source : Le Quotidien du Médecin