Le président de l’INCa a répondu aux questions des lecteurs du « Quotidien » pendant plus d’une heure, mercredi 27 février, au cours d'un Live Chat. Le Pr Norbert Ifrah est revenu sur la controverse autour de l’efficacité des dépistages organisés et s’est prononcé en faveur de la vaccination HPV pour les garçons. L’hématologue a également annoncé que des projets de recherche en collaboration avec les sociétés savantes sont en cours en vue d'un déploiement du dépistage du cancer du poumon.
Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Nous accueillons aujourd’hui le Pr Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer (INCa). Il répondra en direct à vos questions sur le dépistage des cancers.
Journaliste QDM (SL)
C'est parti pour un échange d'une heure avec les lecteurs du « Quotidien ».
Bonjour Pr Ifrah. Merci d’avoir accepté notre invitation.
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Bonjour, merci de m'avoir invité. Le dépistage est un des éléments de la prévention secondaire du cancer.
LFParis
Monsieur, pourquoi le dépistage organisé ne devient pas comme la vaccination obligatoire permettant un dépistage de 100 % et donc une meilleure prise en charge précocement des patients ?
et se concentrer davantage sur les dépistages ciblés comme par exemple le dépistage du cancer du foie réalisé en France à hauteur de 20 % seulement ?
bien à vous
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Quand vous créez quelque chose d'obligatoire, vous créez une sanction. Je crois plus à l'effort d'explication. Je ne suis pas convaincu qu'on doive rendre obligatoire quelque chose qui touche à l'intime. Je préfère convaincre. Nous avons des gains possibles d'adhésion à ces programmes.
Ce sont deux circuits différents. Avec un dépistage organisé, on s'appuie sur des structures qui en facilitent la réalisation pratique. Nous sommes dans du dépistage de masse. Le dépistage ciblé passe par une discussion entre le patient et son médecin. Le dépistage organisé doit conduire à un bénéfice pour le malade et la société.
DrCouine
Pourquoi les campagnes de dépistage sont-elles tellement boudées par nos patient(e)s ? J'ai beau encourager les miens à se faire dépister, j'ai peu de retours positifs ! Comment les inciter davantage ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Je pense que c'est multifactoriel. Il faut le prendre quasiment maladie par maladie. Pour le cancer du sein, je crois qu'il y a la peur d'avoir mal, la peur de l'annonce du résultat et de ce qui va s'ensuivre. C'est quelque chose sur lequel nous avons énormément travaillé avec les sociétés de radiologie notamment. Il faut que les femmes se rendent compte que les choses évoluent. Il y a aussi énormément de contradicteurs qui s'épanchent sur les réseaux, considérant qu'on en fait trop et oubliant que 12 000 femmes/an meurent du cancer du sein.
Pour le cancer du col de l'utérus, il y a des raisons de penser que l'association vaccination et dépistage finira par éradiquer ce cancer, mais, aujourd'hui, il y a aussi une désinformation sur la vaccination et le dépistage. Geste qui est en train d'évoluer mais qui n'est pas agréable.
Pour le cancer du côlon, on est dans l'incompréhension totale, car c'est un geste simple, totalement indolore, un test qui est devenu très performant, et un résultat qui est vraiment très significatif. Car si le cancer du côlon est dépisté à un stade précoce, 90 % des personnes sont vivantes à 5 ans. S'il est diagnostiqué à un stade clinique, on est à 13 % de vivants à 5 ans. Le test précédent était plus compliqué à réaliser, et les patients sont restés sur cette impression.
Pour l'ensemble de ces cancers, il faut vraiment que les médecins insistent sur le fait que ces cancers dépistés précocement entraînent plus de guérison, avec des traitements moins lourds et moins de séquelles. A titre d'exemple, lorsqu'un cancer du sein est diagnostiqué par dépistage, on passe de 70 à 82 % de chirurgie conservatrice, et on passe de 53 à 34 % de chimiothérapie.
LFParis
Monsieur, que pensez-vous de la polémique autour du dépistage du cancer du sein sur la notion de surdiagnostic ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Il y a deux choses différentes. Le surdiagnostic et le surtraitement sont des choses connues dans tout dépistage, et sujet de travail pour les réduire. Il y a une frange de cancers du sein qui n'auraient probablement pas évolué, mais ce ne sont pas des faux cancers. Le problème, c'est que personne ne sait prévoir lesquels vont rester quiescents. C'est un sujet de recherche, non de polémique.
Morituris
Il y a deux choses différentes. Le surdiagnostic et le surtraitement sont des choses connues dans tout dépistage, et sujet de travail pour les réduire. Il y a une frange de cancers du sein qui n'auraient probablement pas évolué, mais ce ne sont pas des faux cancers. Le problème, c'est que personne ne sait prévoir lesquels vont rester quiescents. C'est un sujet de recherche, non de polémique.
Pr Norbert Ifrah (INCa)
C'est faux. Il faut comprendre la différence entre les études faites sur dossier individuel et celles faites sur données agrégées. Nous avons la possibilité de suivre les malades et donc de ne pas travailler sur des populations. C'est ce qui explique les différences pour la plupart de ces résultats. Nous ne convaincrons pas des gens qui en font leur fonds de commerce. Ce qui nous intéresse, c'est que les femmes comprennent le bénéficie qu'elles peuvent en tirer. N'oublions pas que 12 000 femmes meurent chaque année de cancer du sein. Quand on travaille sur données agrégées, une femme qui a été dans un dépistage organisé de 50 à 74 ans et fait un cancer du sein à 85 ans est considérée comme un échec du dépistage, ce qui est une hérésie. Le dépistage n'est pas une vaccination.
sophie
Je suis MG. Concernant le cancer du sein, y a-t-il de nouvelles recos plus ciblées sur le risque individuel à la place de la mammo tous les 2 ans chez les femmes de 50/74 ans ? Concernant FCV, pourquoi on arrête après 65 ans ? Concernant hemoccult, que répondre à un patient qui a lu que beaucoup de coloscopies sont faussement rassurantes avec souvent des cancers dans intervalle de 2 ans ? Merci par avance.
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Il y a des recommandations pour les personnes à surrisque et il est même prévu une consultation à 25 ans. Elles sont très différentes du dépistage général (les recommandations sont disponibles sur le
site de l'INCa).
L'âge médian du diagnostic est de 51 ans pour le cancer du col. Au-delà, on entre dans du dépistage individuel.
Le test Hemoccult a été remplacé par un test immunologique beaucoup plus performant. Lorsque ce test est positif, 39 % des malades ont des lésions néoplasiques (adénome avancé et cancer). Le risque de coloscopie « inutile ou faussement rassurante » devient infiniment petit.
Le cancer de l'intervalle est un autre sujet. Il y a deux types : ceux qui sont apparus et relativement rapides d'évolution et ceux qui n'étaient juste pas visibles au moment de l'examen.
docdocdoc
Quels sont les avantages (et inconvénients ?) du dépistage du cancer du col de l'utérus par test HPV ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Il est beaucoup plus sensible et aussi spécifique que la cytologie, mais beaucoup de femmes guérissent de l'infection HPV spontanément et la HAS réfléchit à la place, et donc au remboursement de ce test. Aujourd'hui, c'est le frottis cervico-utérin, éventuellement complété par p16-Ki67, qui est recommandé. On peut imaginer une évolution.
La conisation n'est pas sans inconvénient, notamment sur le risque de fausse couche.
-- Dr EB
que penser de l'extension de la vaccination HPV aux garçons alors qu'on sait que cela favorise les cancers ORL notamment ?
-- Michel M
Monsieur le Professeur, vous lancez le dépistage du cancer du col et c’est une binne chose. Pourquoi ne pas profiter de ce programme pour communiquer davantage sur la vaccin HPV? Merci.
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Concernant l'extension aux garçons, nous y sommes clairement favorables. Selon moi, la restriction aux jeunes filles de la vaccination HPV est une mesure sexiste.
Une communication sur le vaccin HPV, en plus du frottis, est programmée cette année. Au second semestre.
MG
Y a-t-il des stratégies à l'étude pour le dépistage du cancer de l'ovaire ? Que faire en cas d'antécédent familial ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Aujourd'hui, il n'y a pas de dépistage organisé du cancer de l'ovaire. En revanche, dès lors qu'il y a des antécédents familiaux, on entre dans du dépistage individuel, comme pour les antécédents de cancer du sein avec mutation génétique ou syndrome de Lynch, par exemple.
JeanBaraque
Est-ce qu'on peut arrêter le délire du dépistage du cancer de la prostate ? et plus largement dire qu'on ne peut dépister rentablement que les cancers présents dans des populations où ils concernent plus de 10% des gens ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Le dépistage par PSA du cancer de la prostate n'est pas recommandé de façon systématique. Il n'est, par contre, pas licite d'interdire une recherche orientée par un signe d'appel. Ni de dérembourser ce dosage qui est utile pour suivre un traitement.
Seules la conscience du problème par le clinicien et sa vigilance sont garantes de sa juste prescription.
MG
Est-ce qu'il y a une place pour l'IRM dans le dépistage du cancer de la prostate ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Il n'est pas recommandé aujourd'hui de dépister de façon systématique le cancer de la prostate. La question des outils d'un dépistage individuel est différente, et l'IRM y a sans doute une place.
PVS
Qu'en est-il du dépistage du cancer colorectal ? Il n'est plus possible pour un professionnel de santé de commander des kits actuellement car un nouvel appel d'offres est en cours. Les médecins sont en rupture de stock. Certains patients sont dans l’impossibilité de se procurer un kit. Le dépistage du cancer colorectal va-t-il s'arrêter pendant plusieurs mois, le temps de la mise en place du nouveau marché, comme en 2015?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Le nouveau marché entre vigueur mi-mars 2019 et un réapprovisionnement en kits des centres régionaux de coordination du dépistage des cancers a été mis en place avant la fin du marché. Si le médecin est en rupture de stock, le centre de coordination peut lui fournir des kits.
Concilio
Bonjour Docteur. Qu’appelez-vous « personnes à surrisque », qui ne rentrent pas dans les programmes de dépistage organisé ? Et comment détecter ces populations à risque ? Est-ce le rôle du médecin traitant ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Si l'on prend l'exemple du cancer du sein, une femme qui a des antécédents familiaux ou personnels de cancer du sein et de l'ovaire, qui a une anomalie BRCA1 ou 2 et qui a été traitée pour un lymphome de Hodgkin, par exemple, sont à surrisque de cancer du sein. C'est pour elles prioritairement qu'a été conçue la consultation de 25 ans, qui sera mise en place dans l'année. Elles sont justiciables d'un suivi différent du dépistage organisé traditionnel. C'est vraiment une mission du médecin traitant.
Titione
Concernant le dépistage cutané, une bonne solution serait d’informer et former médecins, professionnels de santé, et généralement tous les professionnels qui voient la peau (coiffure, esthétique...), et les patients eux-mêmes, à suspecter une lésion potentiellement grave sur des critères simples ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Nous croyons surtout à la formation des médecins et professionnels de santé. Tous les ans, l'institut s'associe aux dermatologues à l'occasion de la Semaine de prévention des cancers de la peau. Les personnes à risque élevé doivent être informées sur les risques d'exposition (solaire et UV artificiels). Elles sont justiciables d'un auto-examen trimestriel et d'un examen par un médecin – au besoin dermatologue – une fois par an.
Bernard
Faut-il mettre en place un dépistage du cancer du poumon comme le suggère une étude américaine récente ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
L'INCa soutient des projets de recherche et travaille avec les sociétés savantes sur les possibilités de déploiement. C'est un sujet d'actualité mais qui n'est pas très simple : quel public ? quelle fréquence ? quel accompagnement de l'arrêt du tabac ? quel scanner et quel entraînement des radiologues pour le faire ? quel retentissement sur la disponibilité des scanners pour les autres malades ?
Le sujet est redevenu d'actualité dès qu'on a eu de meilleurs traitements. Il ne faut pas méconnaître les complications de l'abord chirurgical de lésions douteuses. Tout ceci mérite d'être analysé par des professionnels avec la plus grande attention. Et nous les soutenons dans cette démarche.
Dr IM
J'ai téléphoné : les centres de coordination sont en rupture de stocks également. Du coup, je fais faire le test au laboratoire de ville.
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Si vous avez appelé les plus de 80 centres en quelques minutes, vous êtes très fort !
Emilie G
Bonjour Pr, alors que le cancer colorectal touche indistinctement les hommes et les femmes, seule la gent masculine est représentée dans les campagnes de dépistage. Pourquoi un tel choix (risqué puisque les femmes ne se sentent du coup pas concernées par le problème) ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Nous n'avons pas l'impression que ce soit le cas. J'ai souvenir d'iconographies non sexuées. Je n'ai évidemment pas accès à tout ce qui sort sur le territoire, mais ce n'est pas le cas pour ce qui sort de l'INCa. Et les chiffres montrent que les femmes participent généralement plus que les hommes (respectivement 34,7 % et 32, 1 %).
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Dernière question.
-- Dr Mo
Agnès Buzyn est devenue ministre après avoir été présidente de l'INCa. Rêvez-vous d'un destin similaire ?
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Sûrement pas ! J'ai fait du soin, de l'enseignement et de la recherche ; c'est là où je me sens le moins mauvais. Et je n'ai pas les qualités d'Agnès !
Journaliste QDM (SL)
C’est fini pour aujourd’hui. Merci, Pr Ifrah d’avoir engagé le dialogue avec les lecteurs du « Quotidien ». À vous le mot de la fin.
Pr Norbert Ifrah (INCa)
Merci de ces questions qui sont pour l'essentiel très passionnées et pertinentes (sauf la dernière) !
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation.
Bonne journée et rendez-vous dans le 14 mars 2019 pour un nouveau live chat, avec le Dr Philippe Cuq, président de l’Union des chirurgiens de France.
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