LE QUOTIDIEN : La loi Evin est toujours, 30 ans après son adoption, le symbole de la lutte contre l'alcool et le tabac. En aviez-vous conscience au moment de l'élaborer ?
Je considérais que l'on avait besoin de textes législatifs et réglementaires pour pouvoir traiter ces sujets de santé publique. Aussi bien sur le tabac que sur l'alcool, il y avait trois volets. Tout d'abord, il était nécessaire de faire sortir les produits de l'indice des prix pour pouvoir les augmenter. Il fallait également réglementer la publicité avec une interdiction pour le tabac et un encadrement pour l'alcool. Enfin, nous devions déterminer les conditions de consommation et de vente.
CLAUDE EVIN : Vous souvenez-vous des réserves que vous avez rencontrées à l'époque ?
J'y ai été confronté dans le débat parlementaire, notamment pendant l'année 1990 puisque la loi a été publiée en janvier 1991. En fait, le volet tabac n'a pas vraiment fait l'objet de débat exacerbé. Par contre, celui sur l'alcool a été beaucoup plus discuté, de manière assez vive parfois, avec certains élus de région de production viticole. Nous avions prévu que la mise en œuvre du dispositif se ferait à l'échéance de deux années. Ce délai n'a pas empêché l'apparition de nouvelles résistances, lorsque les acteurs ont pris conscience qu'ils n'étaient pas prêts, dans les restaurants et les bars, par exemple.
Les réticences sont-elles différentes aujourd'hui ?
Concernant le tabac, le dispositif est globalement accepté et bien mis en œuvre depuis le décret du 15 novembre 2006 (N.D.L.R. fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux collectifs), même si on peut encore voir des terrasses de café où l'on fume bien qu'elles soient fermées. La publicité est à peu près respectée. Il y a bien sûr des éléments qui n'étaient pas prévus dans la loi de 1991, notamment avec l'arrivée d'internet. Sur l'alcool, il y a toujours des coups de boutoir et le sujet sur la réglementation de la publicité revient régulièrement sur la table. D'ailleurs je pense souvent que la viticulture est le cheval de Troie d'autres intérêts, notamment ceux des métiers de la publicité.
Quel regard portez-vous sur la cigarette électronique ?
C'est manifestement un substitut au tabac. Cela dit, on voit bien que les effets en matière de santé sont discutés. Je n'ai pas d'appréciation médicale à son sujet mais il faut être très prudent. La poursuite d'études scientifiques doit permettre une information du public. D'autre part, il y a aussi une question par rapport au comportement : on ne peut pas laisser les gens vapoter là où on leur interdit de fumer. C'est un environnement à garantir : la lutte contre le tabagisme joue aussi sur les comportements.
La campagne du « Dry January » vous semble-t-elle adaptée bien qu'elle ne reçoive pas de soutien public ?
Tout ce qui permet de maîtriser la consommation d'alcool est utile donc ce type d'initiatives, comme celle sur le « mois sans tabac », est tout à fait fondé. L'État doit faire face aujourd'hui à bien d'autres urgences et je m'abstiendrai de lui jeter la pierre. Une loi ou une initiative ne suffit toutefois pas. La lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme nécessite qu'il y ait, en permanence, des campagnes de rappel, d'information, de sensibilisation et c'est naturellement de la responsabilité de la puissance publique. La continuité des messages et des actions entreprises est essentielle.
Peut-on dire ainsi que la campagne sur le « zéro alcool pendant la grossesse » est bien entrée dans les mœurs ?
Je n'ai pas d'évaluation spécifique à ce sujet mais j'ai en effet plutôt l'impression que les femmes enceintes sont bien conscientes du fait que la consommation d'alcool est à bannir pendant la grossesse. C'est intéressant : on voit bien que faire de la prévention par des campagnes de communication, ça paye.
Les soignants devraient-ils avoir une démarche plus proactive, notamment en incitant les patients à s'interroger sur leur dépendance à l'alcool ?
Aborder les sujets à risque fait partie du dialogue singulier entre un professionnel de santé et son patient. Il ne s'agit pas de culpabiliser mais de pouvoir amener à une prise de conscience et à une réduction de la consommation. Même en période de crise où l'alcool peut être un refuge à l'angoisse, il ne faut pas arrêter la sensibilisation. Comprendre est une chose, surtout quand on est dans une démarche thérapeutique, mais on ne doit pas s'en satisfaire.
Vous paraissez finalement tirer un bilan globalement positif ?
Je pense en effet que des choses ont heureusement bougé et que la loi sur laquelle vous m'interrogez y a contribué. Mais la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme nécessite de la vigilance. On ne peut pas se reposer sur des acquis car on n'est jamais dans une situation définitive.
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