D’abord mise en évidence dans des études transversales et rétrospectives, l’augmentation du risque de développer un diabète de type 2 (DT2) chez les fumeurs a été confirmée par des études prospectives, réalisées dans différentes populations et des métaanalyses récentes. Ce surrisque, de 37 à 44 %, s’accroît de manière dose-dépendante et, dans certaines études, apparaît plus marqué chez les hommes que chez les femmes.
Un excès de graisse viscérale
Comment expliquer cet effet diabétogène du tabagisme ? Il existe un lien probable entre le tabagisme et l’accumulation de graisse viscérale observée chez les fumeurs, même si leur poids est en moyenne inférieur à celui des non-fumeurs. Cette accumulation passerait par la stimulation, par la nicotine, de la production d’hormones de contre-régulation glycémique et une action anti-œstrogène. En cause également, l’effet pro-inflammatoire de la fumée de tabac, la toxicité pour l’endothélium vasculaire du stress oxydatif et de l’hypoxie causée par le monoxyde de carbone, ainsi qu’un possible impact des métaux lourds contenus dans la fumée de cigarette. Des facteurs génétiques de prédisposition pourraient également jouer un rôle.
Quels que soient les mécanismes en cause, l’excès de graisse abdominale favorise le syndrome métabolique. Et, point important, l’insulinorésistance est causée non seulement par le tabagisme actif (+ 40 %), mais aussi passif (+28 %).
Ainsi, en dehors de tout diabète, les taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) sont plus élevés chez les fumeurs actifs (+ 0,12 % par 20 paquets/année) et les ex-fumeurs (+ 0,03 %) que chez les non-fumeurs ; cette augmentation est corrélée à celle de la cotinine urinaire.
« L’effet diabétogène du tabagisme est aujourd’hui mal reconnu, et seules quelques sociétés savantes mettent l’accent sur l’importance du sevrage tabagique chez les sujets à risque de diabète, en particulier en cas de syndrome métabolique, de prédiabète et d’antécédents familiaux de DT2 », souligne le Pr Vincent Durlach, diabétologue et tabacologue, qui dirige l’unité de coordination tabacologique au sein du CHU de Reims.
La principale cause de décès
Les personnes diabétiques, cela est parfaitement établi, meurent le plus souvent de complications cardiovasculaires. Or, en cas de DT2, le tabagisme est l’un des principaux, si ce n’est le, principal contributeur à ces complications. Or, alors que la prévalence du tabagisme est établie à 25 % en population générale, elle reste à 20 % chez les personnes atteintes de diabète de type 2 et atteint même 30 % dans le type 1. La majoration du risque d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral ou d’artériopathie des membres inférieurs est dose-dépendante. Le tabagisme contribue également au risque de microangiopathie, en aggravant en particulier la néphropathie. Il est donc, dans ce contexte, essentiel de promouvoir l’arrêt de la cigarette, d’autant plus que le tabagisme détériore l’équilibre glycémique chez le diabétique traité.
Des freins chez les soignants aussi
Quels sont aujourd’hui les freins au sevrage tabagique chez les personnes prédiabétiques et diabétiques ? « On observe des réticences de la part des patients, pour lesquels le sevrage est vécu comme une contrainte supplémentaire, et de la part des soignants », rapporte le Pr Durlach, en citant les résultats d’une enquête menée auprès des diabétologues. La majorité des 125 spécialistes qui ont répondu (86 %) s’estiment incompétents pour accompagner leurs patients vers le sevrage et 90 % déclarent n’avoir aucune personne de leur équipe formée à cette prise en charge. « Il s’agit là d’un problème majeur, quand on sait que le tabagisme est associé à une augmentation de 50 % du risque de décès chez le diabétique fumeur comparativement au diabétique non-fumeur », poursuit le Pr Durlach.
Le sevrage tabagique se heurte aussi au problème de la peur de la prise de poids, susceptible de dégrader l’équilibre glycémique. Le risque de prise de poids, de l’ordre de 4 à 5 kg dans l’année qui suit le sevrage, est une réalité. Il semble plus fréquent chez les sujets de moins de 55 ans fumant plus de 15 cigarettes par jour, chez les femmes en restriction calorique, les sujets sédentaires et ceux issus d’un milieu socio-économique défavorisé. Mais il s’agit plus d’un réajustement du poids, la personne retrouvant le poids qu’elle aurait dû avoir si elle ne fumait pas qui, de plus, n’est pas systématique (de 16 à 21 % des sujets perdent du poids) et, surtout, le rapport bénéfice/risque à long terme sur le plan cardiovasculaire et vis-à-vis de la mortalité totale est largement en faveur de l’arrêt du tabac.
Autre frein possible : la dépression, dont on connaît les liens étroits avec le tabagisme chez le patient diabétique.
Un besoin de formation
Si le sevrage tabagique chez le prédiabétique et le diabétique s’impose, les modalités de prise en charge spécifique font encore défaut, faute d’études dédiées. Il convient donc d’appliquer les mêmes principes d’aide au sevrage tabagique que chez les non diabétiques.
Les recommandations à venir de la SFT et de la SFD visent à apporter une aide aux professionnels de santé concernés, qui sont demandeurs. Un sondage est en cours pour éclairer les pratiques des diabétologues, qui sont, selon les résultats de l’enquête, largement intéressés par une formation pour eux-mêmes (60 %), ou pour un membre de leur équipe (70 %).
Légende photo / Pr Vincent Durlach (Reims), diabétologue et tabacologue, président du comité d’organisation et scientifique du congrès
Exergue: En dehors de tout diabète, les taux d’HbA1c sont plus élevés chez les fumeurs
Entretien avec le Pr Vincent Durlach, CHU de Reims
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