« Taxe lapin », l’équation insoluble ?

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Publié le 05/04/2024
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Citée par Gabriel Attal comme une mesure prioritaire pour responsabiliser les patients, la « taxe lapin » fait l’objet de plusieurs propositions, sans que le sujet – très sensible – ne semble tranché. Preuve de sa difficile mise en œuvre ?

Face au fléau des rendez-vous non honorés, les praticiens restent souvent démunis

Face au fléau des rendez-vous non honorés, les praticiens restent souvent démunis
Crédit photo : GARO/PHANIE

Responsabilisation des patients

« Quand on a rendez-vous chez le médecin et qu’on ne vient pas sans prévenir, on paye ! » Ce principe de pénalisation financière, édicté par Gabriel Attal lors de son discours de politique générale, semble ferme, clair et net. Dans un pays en proie à de graves difficultés d’accès aux soins, comment accepter que certains patients indélicats ne se présentent pas à leurs rendez-vous médicaux, faisant « perdre » des milliers de consultations précieuses et désorganisant aussi le travail quotidien des praticiens ?

Encore faudrait-il s’accorder d’abord sur l’ampleur du fléau, une gageure. Si le total de « 27 millions » de consultations manquées par an a été repris par l’Ordre et l’Académie de médecine, ce chiffre reste sujet à caution. Il provient en réalité de l’enquête réalisée en 2022 par l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux (URPS ML) d’Île-de-France, auprès de 2 240 répondants, dont 855 généralistes. Ce résultat avait été obtenu, par extrapolation France entière, en multipliant le rendez-vous non honoré quotidien (un minimum rapporté par 95 % des répondants) par le nombre de praticiens libéraux (100 000 en 2022) et les journées de travail (45 semaines de six jours). Un calcul imparfait, voire fantaisiste aux yeux de certains, qui surévalue sans doute le phénomène.

Guerre des chiffres

Auprès du Quotidien, la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France, relativise les choses. Le syndicat de généralistes a réalisé une enquête auprès de ses adhérents (1 000 omnipraticiens ont répondu), publiée en février. La moyenne déclarée est cette fois de « 2,5 rendez-vous non honorés par semaine ». Rapporté aux 47 000 généralistes traitants, MG France aboutit à 6,5 millions lapins par an (sur 251 millions d’actes, soit 2,5 % de rendez-vous évaporés). C’est toujours beaucoup mais quatre fois moins que selon l’étude francilienne… Sur ce même panel de généralistes, un tiers estime que c’est un vrai problème à résoudre, un tiers ne s’en préoccupe pas et le dernier tiers est ravi de pouvoir rattraper son retard ou souffler un peu entre deux patients. De quoi analyser le fléau des lapins sous un angle différent.

Côté plateformes, on affiche également une fourchette d’estimation basse. Auditionné au Sénat le 20 mars, le directeur général France de Doctolib, Jean-Urbain Hubau, évoque 3,5 à 4 % de lapins par an. « Mais nous en avons moins que via d’autres canaux car il n’est normalement pas possible d’oublier son rendez-vous avec tous les rappels mis en place et la facilité d’annuler sur notre plateforme », avance-t-il.

Des mesures dès cette année ?

Quoi qu’il en soit, le Premier ministre a jugé ces rendez-vous non honorés « insupportables », promettant de s’y attaquer « dès cette année ». Au congrès du Modem le 24 mars, il persiste et signe, affirmant que le gouvernement mettra en place « à l’été » un système incitatif pour que les Français honorent leurs rendez-vous médicaux. Mais toujours sans préciser sa méthode…

Gabriel Attal n’en est pas à son coup d’essai. Ministre des Comptes publics en avril 2023, il avait même formulé une proposition concrète consistant, en cas de patient indélicat, à minorer le remboursement du rendez-vous suivant d'une certaine somme « qui pourrait être de 10 euros » – cinq euros allant au professionnel et cinq euros à l'Assurance-maladie. À la même période, le président de la République avait affirmé qu’il fallait « un peu sanctionner » les patients peu responsables, sans détailler le volet pratique.

Plus récemment, le néo-ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, a évoqué la possibilité de sanction sous la forme d’« une petite pénalité financière ». Au Quotidien, il assure aujourd’hui que le sujet avance. « J’en discute avec les syndicats, avec le président de l’Ordre ainsi qu’avec les représentants des patients. Je verrai les plateformes. Il y a des faisceaux de mesures qui pourraient permettre de réduire le nombre de rendez-vous non honorés. Plusieurs propositions de loi ont été déposées. Des mesures seront prochainement mises sur la table. » Pourtant, selon nos informations, Ségur n’a perçu des uns et des autres qu’un appétit modéré pour la mise en place concrète de cette pénalité financière dans le contexte actuel, ce qui complique l’équation.

La main aux parlementaires

Une des solutions consiste à confier ce dossier délicat aux parlementaires pour trouver un compromis. La majorité présidentielle s’est emparée du sujet. La députée Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance) a déposé en février une proposition de loi (PPL) pour permettre aux professionnels de santé, « sur déclaration volontaire », de signaler un patient incivique récidiviste. Ce dernier pourrait faire l’objet d’un avertissement ou d’une pénalité par l’Assurance-maladie. Le montant serait variable et les modalités d’application – complexes – fixées par décret.

Mais aussitôt, l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS, libéraux) a regretté « la notion de délation induite par une telle mesure ». Elle propose plutôt une réinterprétation souple voire une modification des règles déontologiques relatives aux refus de soins face à ces patients incorrects. Ou même l’introduction d’une disposition dans l’accord-cadre interprofessionnel (Acip), permettant d’appliquer des dépassements d’honoraires exceptionnels pour compenser le manque à gagner de ces créneaux perdus.

Somme forfaitaire

Le 19 mars, une autre PPL a été déposée, cette fois par le député Luc Lamirault (Horizons, Eure-et-Loir). Celle-ci introduit l’idée que l’assuré qui n’honore pas son rendez-vous médical s’acquitte d’une « participation forfaitaire ». Laquelle, variable en fonction des prestations, pourrait être payée, au choix, directement par l’assuré à sa caisse, prélevée sur le compte bancaire du patient ou récupérée par l’Assurance-maladie sur les prestations à venir. Cette initiative fait écho à celle des sénateurs LR qui avaient introduit, fin 2023, une taxe lapin dans le dernier projet de loi de financement de la Sécu, mesure alors retoquée.

Le député propose cette fois que les modalités soient définies dans les négociations conventionnelles. À ce sujet, le DG de la Cnam, Thomas Fatôme, a confirmé au Quotidien début mars que les modalités sont en cours d’instruction du côté de Ségur. « Si les partenaires conventionnels doivent jouer un rôle supplémentaire, on l’assumera », annonce-t-il, rappelant que la Cnam prend déjà sa part avec des campagnes pédagogiques sur le bon usage du système de santé (avec un volet sur les lapins).

La charge de la preuve

D’autres acteurs ont réfléchi au sujet. Le directeur de l’Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), Stéphane Pardoux, propose de systématiser une empreinte bancaire de 10 euros, prélevée en cas de « lapin » du patient et distribuée au médecin.

Que de grain à moudre… Pourtant, en dépit du volontarisme de Matignon et de certains parlementaires, la punition financière de certains patients risque de se heurter à des obstacles législatifs. Facturer un lapin sous-entend une modification de l’article R. 4127-53 du Code de la santé publique (relatif au Code de déontologie), qui dispose que « les honoraires ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués ».

Une autre difficulté est la charge de la preuve juridique. « Il est difficile de prouver que la personne n’a pas essayé de nous joindre pour annuler le rendez-vous », estime le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-Syndicat. « Toutes ces propositions sont farfelues », balaye Gérard Raymond, président de France Assos santé (usagers), lequel mise sur des campagnes d’éducation des patients face à un phénomène dont il ne nie pas l’existence, mais dont la véritable ampleur l’interroge.

Léo Juanole

Source : Le Quotidien du Médecin