Avez-vous déjà entendu parler des mutuelles communales ? Les inaugurations de ces stars des journaux locaux se multiplient dans l’Hexagone. Le principe est simple : après un appel d’offres répondant à un cahier des charges, les mairies choisissent une ou plusieurs mutuelles pour la (les) proposer à leurs administrés. Avec tarifs avantageux, le plus souvent sans limite d’âge et sans questionnaire médical. L’idée volontiers mise en avant ? La couverture de publics fragiles de seniors, jeunes ou chômeurs, mais plus largement la possibilité d’obtenir des offres bien négociées et calibrées pour les habitants intéressés.
La pionnière est Caumont-sur-Durance (Vaucluse), 4 700 habitants, qui a mis en place cette solution dès 2013. Dix ans après la signature du contrat, la directrice de la Mutuelle générale d’Avignon (MGA), Nathalie Meyer, revendique quelque 550 adhérents au sein de cette mutuelle communale et « tous les créneaux de rendez-vous remplis lors de la permanence, les premiers vendredis de chaque mois ». Depuis, des milliers d’autres communes ont suivi cette démarche, même s’il reste difficile de mesurer l’ampleur du phénomène. La Mutualité française (FNMF) n’a pas de chiffres récents. En 2019, elle estimait que 2 800 villes ou villages avaient franchi le pas (dont 95 % de communes rurales de moins de 5 000 habitants) pour seulement 25 000 personnes couvertes à l’époque, dont 70 % de plus de 60 ans. Depuis, la donne a changé : des métropoles d’envergure (Montpellier, Bayonne, Orléans, Caen) ainsi que des villes franciliennes ont choisi d’y avoir recours.
30 à 40 % d’économies promises
Mais nombre de petites communes continuent de se mobiliser sur le sujet, comme Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique). Son maire, Thierry Noguet, propose à ses 7 000 administrés, pour 2024, le choix entre deux mutuelles communales (MBA et Mutualia), après avoir étudié quinze candidatures. C’est surtout, raconte-t-il, « le prix et la qualité de la prestation » qui ont fait la différence avec, ici, 30 à 40 % d’économies promises.
Même modèle à Mérignac (Gironde), 70 000 habitants. Depuis sept mois, la municipalité socialiste propose deux offres mutualistes. À date, environ 400 personnes y ont adhéré, dont « 75 % de seniors », rapporte Lauriane Ferrasse, de la mission santé au centre communal d’action sociale. Si les tarifs sont en moyenne 30 % inférieurs à la moyenne, les deux mutuelles retenues – la Mutuelle des industries aéronautiques spatiales (Miasc) et la Mutuelle familiale – proposent aussi « une action de conseil et de prévention en soins dentaires ».
Du côté de Saint-Raphaël (Var), le maire LR, Frédéric Masquelier, se mobilise en 2024 pour la couverture santé de ses 35 000 administrés. Plus de 300 rendez-vous ont été pris depuis le 22 janvier, date du lancement de l’offre communale. Son adjointe, Yolande Lopez, évoque des économies « allant jusqu’à 70 euros mensuels, pour des contrats individuels, avec cinq niveaux de garantie ». La mutuelle proposée est Just, l’un des acteurs les plus actifs du marché. « Depuis deux ans, nous ne faisons plus que des mutuelles communales », raconte son président Philippe Mixe, fier de ses quelque 1 000 communes partenaires. « Le plus petit village compte 47 âmes, quand la ville de Toulouse est riche de 500 000 habitants », détaille-t-il. La moyenne d’âge des adhérents est de 62 ans. Le taux d’adhésion, « à 12 ou 18 mois, est de 3 à 4 % de la commune, parfois au-delà, comme à Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), où nous avons touché 10 % de la population de 22 000 habitants ». L’économie pour les adhérents serait de 25 %, soit 400 à 600 euros annuels, à garantie égale. « Ce n’est pas du low cost », insiste-t-il.
Combattre le renoncement aux soins
Malgré cette dynamique, de nombreux acteurs du secteur ignorent l’existence d’une telle offre territoriale en matière de complémentaire santé. Président de France Assos Santé, Gérard Raymond confie qu’il n’en avait « pas entendu parler jusqu’alors ». Côté syndicats médicaux, ni le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S et généraliste installé à Fronton (Haute-Garonne), ni le Dr Jacques Battistoni, ancien président de MG France et retraité à Ifs (Normandie), n’avaient connaissance que leur propre commune en proposait une !
C’est un sujet important pour nous, cela permet de mieux protéger les personnes fragiles, qui se privent de soins pour économiser du pouvoir d’achat
Gilles Noël, vice-président de l’AMRF
La directrice adjointe à la santé de la Mutualité française, Delphine Hernu, confirme que ce « phénomène prend de l’ampleur ». Elle souhaite toutefois rester « prudente, car certains organismes font croire que, pour un contrat peu onéreux, ils seront couverts. Mais comme leurs besoins de santé sont grands, les cotisations peuvent, dans un second temps, augmenter pour financer ces prestations ». Selon elle, les mutuelles communales « peuvent être une solution dès lors qu’elles s’appuient sur une mutualisation, avec de la prévention et une offre de soins à tarifs maîtrisés qui répond aux besoins ». Sensible aux questions de pouvoir d’achat, le vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) chargé des questions de santé, Gilles Noël, confirme l’intérêt croissant des édiles. « C’est un sujet important pour nous, cela permet de mieux protéger les personnes fragiles, qui se privent de soins pour économiser du pouvoir d’achat », avance-t-il.
Justement, l’offre des mutuelles communales est-elle toujours à la hauteur des espoirs sur le plan des tarifs et des prestations, dans un contexte d’inflation des coûts ? La Mutualité française a annoncé des hausses moyennes de cotisations de 8,1 % pour 2024, quand l’association UFC-Que Choisir les évalue même autour de 10 %. Et les mutuelles communales ne sont pas épargnées par ces évolutions. Mais leurs promoteurs mettent en avant l’équilibre des contrats négociés. À Mérignac, on rapporte une hausse des prix d’une seule des deux mutuelles mutualistes, à hauteur de 6 %. Chez Just, pour 2024, les augmentations iront de 6 à 11 %. Même tendance chez la MGA, avec une hausse moyenne de 6,4 %. « Seuls 1 700 adhérents de l’une de nos offres communales connaissent, certes, une hausse de 9 % pour 2024, mais due à un dérapage de consommation non anticipée, se défend Alexis Carrier, directeur marketing et développement de la Mutuelle familiale, présente dans 1 650 communes. Dans une grande ville française, une autre mutuelle a augmenté ses tarifs de 30 % parce que l’offre initiale low cost voulait faire du dumping. »
« Pas une vraie solution assurantielle »
D’autres observateurs ne sont guère convaincus. Pour un ancien directeur de la Mutualité française, ces mutuelles communales sont d’abord « du marketing municipal » car les édiles « négocient un contrat de mutuelle classique pour leurs administrés, mais n’en créent pas de nouvelle ! ». Et si elles sont moins chères, « c’est aussi parce qu’elles couvrent moins bien », s’agace-t-il. Idem du côté de l’économiste libéral Frédéric Bizard, président du think tank l’Institut Santé, qui analyse même cet essor comme « un dysfonctionnement du système », alimenté par un « marketing politique ». Ce n’est pas, selon lui, « une vraie solution assurantielle qui change la donne », notamment en raison de la liberté de choix réduite proposée aux administrés.
Néanmoins, ces offres mutualistes essaiment vers les départements et les régions : d’abord l’Île-de-France, bientôt Auvergne-Rhône-Alpes… Pour quel avenir ? L’ancien directeur de la Mutualité française note avec gourmandise que « la pseudo-mutuelle régionale d’Île-de-France n’a pris aucune ampleur », preuve à ses yeux de l’avenir incertain de ce modèle. Le Dr Bernard Jomier, sénateur de Paris qui portera bientôt le sujet des complémentaires au Palais du Luxembourg, diagnostique un problème plus large. « Si l’on souhaite que les collectivités locales deviennent un véritable acteur de ce secteur, il faudra rebattre les cartes du mode de financement et de concurrence des mutuelles ». Tout un programme ?
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