Une fois n’est pas coutume, Emmanuel Macron a remis au goût du jour lors de sa longue conférence de presse mardi 12 janvier une de ses idées fixes : changer la tarification des médecins de ville. Les libéraux, a ainsi cadré le président de la République, devront « sans doute être davantage payés au patient plutôt qu’à l’acte ». Ce n’est qu’ainsi que la France passera d’une logique de médecine curative à une logique de médecine préventive, défend-il.
« Paiement au soin », à « l’épisode de soin », « forfaitisation », voire « capitation »… Emmanuel Macron a beau être à l’aise avec le vocabulaire du financement en santé, jamais il ne détaille précisément ses intentions, procédant par petites touches. Le risque est trop grand de se prendre les pieds dans le tapis de la technicité.
Mais, depuis sa campagne pour la présidentielle de 2017, celui qui a baigné dans l’univers de la médecine depuis son plus jeune âge (ses parents comme sa sœur sont du cru) émaille régulièrement ses discours d’idées sur le sujet de la rémunération. C’est d’autant plus vrai que l’intérêt d’Emmanuel Macron pour le financement de la santé va de pair avec son obsession de l’efficience et de la réforme. Florilège de ses déclarations.
Vœu pieux
Le 18 septembre 2018, le chef de l’État développe sa réflexion dans une longue allocution qui fait date sur la transformation du système de santé enclenchée par le programme « Ma santé 2022 ». Le paiement des médecins libéraux y figure en bonne place. Déjà, Emmanuel Macron met en miroir le paiement à l’acte, qui représente 83 % des revenus des généralistes, et le paiement au « parcours et à la qualité des soins », qui doit devenir « la composante principale du financement de la ville ». En 2022, se projette le locataire de l’Élysée, « nous en aurons fini avec […] l'exclusivité du paiement à l'acte ». Vœu pieux, certes, mais vœu quand même.
La manie macroniste de titiller les médecins sur ce sujet remonte même avant 2017. Déjà, le futur candidat s’intéresse au sujet, à travers le prisme de la pertinence (économique et sanitaire) et de la prévention. Dans son livre programmatique « Révolution » (XO éditions) sorti le 24 novembre 2016, l’énarque prend ses distances avec le paiement à l’acte, « qui ne peut pas être le mode unique de rémunération des médecins généralistes » et prône la création de prises en charge forfaitaires pour les patients « très jeunes » et « très âgés », le praticien restant libre d'y adhérer.
Avancer ses pions
Sachant le sujet inflammable, Emmanuel Macron tente ensuite régulièrement dans ses discours de lier réforme du financement de la santé avec meilleure rémunération des praticiens. Le discours de Nevers, le 6 janvier 2017, est l’archétype de cette stratégie. « Je veux que les professionnels de santé partout en France soient mieux considérés, mieux valorisés et mieux payés, argumente-t-il. Mais pour cela, je veux qu’une partie de leur rémunération prenne en compte des objectifs de santé publique. »
Emmanuel Macron, habile, change souvent de braquet pour mieux vendre son produit au corps médical. Faire appel aux patients et, à travers eux, au serment d’Hippocrate, est toujours efficace. Le 12 novembre 2016, alors en campagne au Mans, l’ancien locataire de Bercy avance ses pions. Sortir de la rémunération à l’acte, glisse-t-il, c’est l’assurance pour les médecins de mieux se concentrer sur « l'accompagnement global du patient ». Difficile de contre-argumenter.
Le chef de l’État aime jouer sur tous les tableaux, quitte à brouiller les esprits. À plusieurs reprises, dans un souci constant d’améliorer l’efficience du système de santé, le président a mis dans le même sac hôpital public et médecine de ville. Objectif : faire comprendre à tous que ce qui est bon pour l’un ne peut être mauvais pour l’autre. Dans ses vœux aux acteurs de santé, le 6 janvier 2023, son propos est très clair : « On va faire avec [les soignants de ville] exactement comme on va faire avec l'hôpital, c'est-à-dire on sort d'un financement à l'acte pour être sur un financement à la mission, à la réponse en termes de santé pour une population ».
Chat et souris
Parfois, Emmanuel Macron prend des risques et ose prononcer le mot « capitation », peu rassurant pour la profession. Il le sait : rien de tel pour irriter les médecins libéraux, avec qui il joue au chat et à la souris. Ce système à l’anglaise fait office d’épouvantail pour les tenants d’une médecine libérale dont le paiement à l’acte est un des fondements.
Le 20 décembre 2023, dans l’émission « C à vous », Emmanuel Macron lance, bravache, aux libéraux : « Vous êtes trop payés à l’acte ». En contrepartie, le chef de l’État leur suggère « d’aller davantage vers une rémunération à la capitation, c’est-à-dire aux personnes que vous suivez plutôt qu'à l'acte isolé ». Avant de se rattraper en jouant sur la corde sensible des médecins de ville. « On doit vous valoriser [...] mais si on veut le faire intelligemment, il faut qu'on prenne en compte la nature des patients, qu'on valorise les actes de prévention, la technicité des actes [...] et le suivi d'une personne ».
Coups de sonde
Si les réguliers coups de sonde d’Emmanuel Macron à l’attention de la médecine de ville risquent d’agacer le secteur, ils montrent surtout la stratégie d’un homme politique qui, sur tous les thèmes, aime tester ses idées avant de passer à l’action, quitte à sortir des sentiers battus.
Mais cette fois, le timing n’a rien d’anodin. Au moment même où Emmanuel Macron remet le dossier des forfaits et du paiement par patient au goût du jour, les négos conventionnelles abordent cette même problématique. Ce mercredi, les syndicats de médecins libéraux ont planché sur la création d’un forfait collectif (par équipe de soins) substitutif à l’acte, dit PEPS et déjà déployé à titre expérimental. On retrouve dans la dialectique de l’Assurance-maladie comme un air de déjà-vu. La forfaitisation ? Ce n’est rien de moins qu’un mode de rémunération qui « améliore de manière importante le sentiment de bien-être au travail des soignants, conjugué à une nette amélioration de la qualité des soins perçue par les équipes. » À voir si ce sera le prochain argument du Président.
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