Gérard Larcher : "Le ministère ne doit pas se substituer aux ARS"

Publié le 14/10/2019
Gérard Larcher, auteur d'un rapport sur les ARS, invite à leur donner une vraie marge de manoeuvre et à ne pas tout piloter au niveau du ministère. Entretien.

Décision & Stratégie Santé. Dix ans après leur création, les agences régionales de santé ont-elles répondu aux attentes ?

Gérard Larcher. Les ARS n’ont pas été créées ex nihilo. Elles ont succédé aux agences régionales de l’hospitalisation, elles-mêmes nées de la réflexion sur l’organisation géographique des soins. Leur création visait à répondre au besoin d’une territorialisation de la politique de santé et à permettre une vision globale sanitaire et médico-sociale. Elles ont répondu à cette attente et permis l’émergence d’une stratégie régionale de santé.

Dans votre rapport rédigé en 2008, vous confiez alors aux futures ARS l’organisation de soins non programmés…

Je vous rappelle que mon rapport visait à aménager les relations entre l’hôpital et son environnement afin de mieux répondre aux besoins des patients. J’avais repris une préconisation de l’Igas et de l’Iga* pour assurer la permanence des soins, thématique encore plus essentielle aujourd’hui. La crise actuelle des urgences montre que le sujet de l’organisation de la médecine de ville et la permanence des soins reste d’actualité. Thème qu’il ne s’agit pas de traiter par la contrainte mais sur lequel il faut, collectivement, imaginer de réels mécanismes d’incitation. Le Grand Débat a montré combien la question de l’accès aux soins était sensible pour nos concitoyens ; elle s’est imposée comme centrale.

Faut-il repenser le rôle des ARS en matière de décentralisation ? Les directeurs des ARS sont-ils seulement des préfets sanitaires ?

Je n’aime pas cette expression de « préfet sanitaire ». Les ARS doivent coordonner l’action de toutes les parties prenantes dans le champ sanitaire et médico-social. Il faut donc d’une part leur donner une vraie marge de manœuvre et ne pas tout piloter au niveau du ministère. Le rapport établi en 2014 par les sénateurs Jacky le Menn et Alain Milon dressait le constat suivant : « Une innovation majeure mais un déficit de confiance ». Il relevait qu’il était nécessaire de faire confiance aux acteurs qui sont le plus proche du terrain. Ce diagnostic reste tout à fait d’actualité ! Le ministère doit définir la stratégie de santé et mettre en place les mécanismes d’évaluation administrative. Il ne doit pas se substituer aux ARS ! Mais il faut aussi que les ARS elles-mêmes ne reproduisent pas un schéma centralisé dans leur région. Les délégations départementales doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle de proximité et dialoguer avec les préfets et les élus des territoires.

Le directeur d’ARS devrait-il être nommé conjointement par les présidents de région ?

Il faut d’abord réfléchir à l’évolution de notre système de santé. Faut-il le régionaliser dans une optique de décentralisation ? Quelles en seraient alors les conséquences sur la régulation des dépenses d’assurance maladie ? Faut-il définir un objectif régional des dépenses d’assurance maladie ? Comment anticiper le vieillissement démographique et favoriser une politique de prévention de la perte d’autonomie, en lien avec les départements ? Ces questions sont essentielles, et n’oublions pas combien nos concitoyens sont, à juste titre, attachés à l’égalité de traitement. On pourrait, par la voie de l’expérimentation, engager dans deux ou trois régions une redéfinition des rôles entre l’Etat, l’assurance maladie, les régions et les départements.

La gouvernance hospitalière est-elle un succès ?

Nous modifions à chaque législature la gouvernance hospitalière... Nous avons besoin de stabilité. Faisons confiance aux équipes et au dialogue entre direction, commission médicale d’établissement et conseil de surveillance. Je ne crois pas aux Meccano bureaucratiques.

Quelle doit être la feuille de route des ARS pour les dix prochaines années ?

Au-delà de la réflexion sur la régionalisation du système de santé qui constituera un des débats de la nouvelle génération de la décentralisation qui devrait être examinée au Parlement en 2020, il me semble évident que les ARS doivent favoriser la mise en place de parcours de soins et assurer le décloisonnement des prises en charge, en veillant à garantir l’accès aux soins sans abandonner des pans entiers du territoire. Et il faut surmonter le déficit de confiance que j’ai mentionné, et pour cela donner toute sa place à la concertation avec l’ensemble des acteurs locaux, y compris naturellement les associations de patients et d’usagers ; bref progresser dans la voie de la démocratie sanitaire et territoriale.

*Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale de l’administration.


Source : Décision Santé: 317