La financiarisation de la santé n’agite pas que le secteur médical, elle inquiète fortement les parlementaires. Depuis plusieurs semaines, la commission des affaires sociales du Sénat auditionne ainsi tous azimuts sur ce sujet et c’était le tour, la semaine dernière, des représentants des grands groupes d'hospitalisation privée avec Pascal Roché, directeur général du groupe Ramsay Santé, Sébastien Proto, président exécutif du groupe Elsan et Daniel Caille, président fondateur du groupe Vivalto Santé.
Un secteur régulé malgré les fonds
Le poids et l’appétit de KKR – mégafonds américain, un des plus grands capital-investisseurs au monde – qui détient déjà 42 % du groupe Elsan (140 établissements, 7 500 médecins) a fait l’objet de vives inquiétudes, au regard de sa logique de conquête des cliniques privées. En 2022, KKR convoitait également le groupe de santé australien coté, Ramsay Health Care, actionnaire à 53 % du leader français des cliniques privées, Ramsay Santé, avant de renoncer à son offre. Le sénateur socialiste Bernard Jomier a en tout cas pointé le risque de création « d’oligopole a minima, voire de monopole » dans le secteur stratégique de l’hospitalisation privée. Pascal Roché, DG du groupe Ramsay Santé (175 établissements, 8 600 médecins), a souhaité recadrer sur ce terrain. « Justement, cette offre non engageante [de KKR] n’a pas été menée à terme… » . Affaire classée.
Sébastien Proto (Elsan) réplique lui aussi aux critiques à peine voilées des sénateurs. « Ce n’est pas un problème d’avoir des investisseurs privés étrangers à partir du moment où cet investissement est régulé, encadré par la loi. C’est le cas ! Nous avons un système d’autorisations des établissements, des contrôles réguliers de la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes], des certifications par la HAS… » Daniel Caille (Vivalto Santé) abonde en soulignant les garanties autour de l’indépendance professionnelle. « Le Conseil de l’Ordre a de nombreux moyens pour juger du libre arbitre et de la bonne responsabilité des médecins », évacue-t-il. Et les fonds des investisseurs permettent de leur garantir matériel de pointe et ressources humaines suffisantes.
Bernard Jomier relève ensuite une forme d’opacité sur les bénéfices nets des groupes et la part qu’ils réinvestissent réellement dans la santé. Bref, la transparence revendiquée sur le chiffre d’affaires ne suffit pas. Là encore, Pascal Roché (Ramsay Santé) argumente : « Toutes ces informations sont publiées dans un document universel de 334 pages soumis à l’autorité des marchés financiers ». Encore faut-il le consulter et le déchiffrer.
Une répartition inégale ?
Des sénateurs rappellent aussi que la Cour des comptes avait soulevé dans son rapport 2023 (sur les logiques de complémentarité et de concurrence entre établissements de santé publics et privés) la répartition inégale sur le territoire des cliniques privées, avec une concentration sur « le pourtour de la Méditerranée et en région Île-de-France ». Sébastien Proto (Elsan) récuse cet argument et met en exergue au contraire son implantation territoriale, avec par exemple l’acquisition du groupe régional C2S en Bourgogne-Franche-Comté. « Quand vous regardez la présence du groupe, vous voyez qu’à l’évidence nous ne sommes pas à Paris sur les activités de médecine, chirurgie obstétrique (…) Nous avons une présence très limitée à Lyon et à Marseille. Mais nous sommes présents à Lons-le-Saunier, Limoges, Albi, Perpignan… » « La concentration géographique dont vous parlez vient aussi du fait que les besoins démographiques de ces grandes métropoles ne pouvaient pas être comblés par les seules structures publiques, renchérit Daniel Caille (Vivalto). C’est pour cela que la concentration du privé a été opérée là où nous y avions été autorisés, ce n’est pas de notre volonté. »
Activités rentables et fermeture des maternités
La sénatrice (LR) Corinne Imbert constate et regrette la « nette répartition des actes » entre le privé lucratif et le public, et s’interroge sur le développement prioritaire d’activités rentables au détriment d’autres champs, à cause de la financiarisation. Avec pour « exemple éclairant » le doublement ces 20 dernières années de départements sans maternité privée et la fermeture, jugée brutale, de certains établissements. Une fois encore, Elsan et Ramsay Santé assurent qu’aucune fermeture de clinique ne s’opère « de façon sèche », mais bien en analysant l’offre territoriale et le fondement sanitaire. « Cela s’effectue avec les centres hospitaliers et sous l’égide de l’ARS », avance Sébastien Proto.
Des causes conjoncturelles ou structurelles peuvent justifier la fermeture de maternités privées, comme la pénurie de gynécologues, de pédiatres ou la diminution du nombre d’accouchements – de nombreuses patientes préférant se tourner vers des maternités qui disposent d’un service de réanimation néonatale et spécialisées dans le suivi des grossesses pathologiques.
Pas de surrisque pendant la grossesse, mais un taux d’infertilité élevé pour les femmes médecins
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols