LE QUOTIDIEN : Dans votre rapport remis au Premier ministre, vous écrivez qu’avec uniquement des mesures d’économies, le redressement des comptes sociaux sera impossible à l’horizon 2029. Quelle est la gravité de la situation ?
DOMINIQUE LIBAULT : Il faut vraiment prendre au sérieux cette situation de dégradation des comptes sociaux et s’y attaquer rapidement. Car le risque, très considérable si l’on ne fait rien, ou si les mesures sont trop insuffisantes, c’est d’avoir une dégradation progressive sur deux plans. Des comptes sociaux en premier lieu, mais aussi du système de santé lui-même, dans sa capacité à répondre aux besoins de la population, notamment vieillissante. Faute de prendre les choses à bras-le-corps, on s’expose à des difficultés très considérables !
Vous évaluez qu’il faut trouver 35 milliards d’euros d’ici à 2029. Est-ce un objectif réaliste ?
C’est un chiffre global très significatif, qui ne me semble pas impossible à atteindre. Mais certainement pas avec des petites mesures : ce montant appelle une réforme d’ampleur de notre système de santé. Autre élément fondamental de l’équation : le fait d’avoir de la croissance et un taux d’emploi supérieur serait loin d’être indifférent aux ressources spontanées du système.
Nous le disons aujourd’hui dans notre rapport, les seules mesures de maîtrise de la dépense ne suffiront pas à atteindre l’objectif de rétablissement des comptes. Il va falloir, d’une façon ou d’une autre, accompagner cet effort indispensable de meilleure régulation de la dépense d’un effort de recettes.
Justement, quelles pistes de recettes vous paraissent les plus appropriées ?
D’abord, ce qui serait très inapproprié, ce serait des pertes de recettes nouvelles et importantes, comme des allègements de cotisations. C’est déraisonnable au regard de notre situation ! Le travail sur les nouvelles recettes doit consister à se demander comment elles peuvent contribuer, de façon raisonnable, au rétablissement des équilibres de finances publiques. Il faut exclure par exemple ce qui serait contradictoire avec l’amélioration de la production ou du taux d’emploi, car ce serait un mauvais calcul. Cela dit, ce choix doit être porté par la société.
Dans le rapport, nous disons que, dans l’élargissement du financement de la Sécurité sociale, au-delà des revenus du travail, il reste encore des marges sur les recettes : modulation de la CSG, revenus de placement, revenus du patrimoine, de remplacement… Nous portons aussi des taxes comportementales et des mesures sur les niches sociales. En additionnant diverses sources de recettes, on arriverait à plusieurs milliards d’euros…
Dans votre rapport, vous semblez réticent sur la TVA sociale. Ne serait-ce pourtant pas une solution efficace ?
Dans le débat public, la TVA sociale est volontiers présentée pour dire qu’on peut baisser parallèlement les cotisations salariales et patronales. Or, sur les retraites par exemple, il est aberrant d’évoquer des hypothèses où il y aurait davantage de TVA… à la place de l’effort contributif de cotisations salariales. Il me semble fondamental, pédagogiquement et pour l’équilibre du système, de redire qu’une partie du salaire est mise de côté pour payer la retraite. Cela me semble basique !
“Le sujet de la TVA sociale est extrêmement clivant
Une partie de la TVA finance déjà l’Assurance-maladie et ce n’est pas choquant en soi. Mais je constate que le sujet de la TVA sociale est extrêmement clivant. Je pense qu’il faut aller vers des solutions portées par un maximum d’acteurs. À ce stade, cela ne me paraît pas être le cas de la TVA sociale.
Concernant l’organisation du système de soins, où sont les principaux gisements ?
L’efficience avant tout ! Le premier enjeu porte sur la meilleure organisation des acteurs et le décloisonnement entre la ville, l’hôpital et le médico-social pour prioriser les parcours patient. C’est un facteur majeur de gain et une priorité absolue. L’autre enjeu, ce sont les rentes, auxquelles il faut s’attaquer. Certains soignants ne sont pas suffisamment payés mais il existe aussi des iniquités de rémunération qui doivent être corrigées, à la fois dans l’intérêt de la maîtrise des comptes et de l’adéquation entre l’offre de professionnels et les besoins de la population. Quand, par exemple, certaines rémunérations de médecins spécialistes sont si hétérogènes, il ne peut y avoir de bonne orientation des jeunes vers les lieux et les spécialités utiles aux besoins. Il y aura sans doute des résistances mais il s’agit de trouver des voies et moyens de travailler avec l’ensemble des professionnels de santé.
“Il existe des iniquités de rémunération dans le système qui doivent être corrigées
Dominique Libault, président du HCFiPS
Il y a enfin le travail sur le “bon recours au bon professionnel au bon moment”. Quand on s’interroge sur le nombre de médecins dont on aura besoin dans 10 ou 15 ans, la question est mal posée. Si l’on regarde les exemples étrangers, on peut avoir plusieurs niveaux de réponse au temps de travail ou de consultation des médecins généralistes par rapport à la population, en fonction de l’organisation du système. Il n’y a pas de réponse homogène. Des pays s’en sortent avec moins de généralistes qu’en France, grâce à une organisation plus optimisée. La question devrait plutôt porter sur l’organisation qu’on veut instaurer en France (pour les soins primaires, spécialisés), de façon compatible avec nos capacités de financement, pour en déduire le nombre de médecins à former.
Peut-on faire des économies massives grâce à la prévention ?
Je rappelle que l’une des mesures de prévention les plus efficaces, avec des économies évidentes, a été la généralisation des radars sur les routes. Le taux d’accidents de voiture a été considérablement réduit. On a pu mesurer, très concrètement, l’impact en termes de mortalité et de personnes handicapées évitées.
Sur le tabac et l’alcool, on peut chiffrer aussi l’impact de la diminution de la consommation en termes de cancers ou d’autres maladies évitées. Les dépistages précoces permettent également d’éviter des coûts de thérapies plus élevés. En revanche, d’autres mesures de prévention sont plus compliquées à chiffrer, par exemple l’activité physique : on sait qu’elle apporte énormément de bénéfice mais ils sont plus compliqués à quantifier.
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