Après les Ehpad et les crèches privées, faut-il redouter un scandale dans les cliniques privées ? Mardi 21 janvier, la CFDT a dévoilé une étude de cas de la « financiarisation de la santé », accuse-t-elle, en mettant la loupe sur le géant Ramsay Santé, leader européen de l’hospitalisation privée, et sur ses choix immobiliers. Des décisions qui entraîneraient une « fuite » de fonds publics, encourageant un phénomène de « spéculation immobilière en plein cœur du système de santé français », avance la CFDT. Cette initiative intervient en pleine reprise des discussions budgétaires autour du PLFSS 2025.
Si ce rapport ne fait aucune allégation d’irrégularités ou d’illégalité, il entend interroger sur l’usage des financements publics alloués aux cliniques lucratives en France. « Quand l’État donne un euro d’argent public, on ne sait pas où il va », dénonce Ève Rescanières, secrétaire générale de la CFDT Santé sociaux.
85 % des revenus de Ramsay solvabilisés par les financements publics
Pour tenter de démontrer cette évasion de fonds publics vers la spéculation immobilière, l’étude s’est attachée à l’examen de données fiscales publiques et à la reconstruction des montages financiers du groupe. Premier point, « les deux tiers des revenus de Ramsay Santé proviennent toujours de France, laquelle compte une proportion relativement élevée d’hôpitaux privés (à but lucratif ou non lucratif) par rapport aux autres pays de l’OCDE », cadrent les auteurs du rapport réalisé avec le cabinet international Cictar (Centre international de recherche et de responsabilisation en matière d’impôt des sociétés).
Surtout, « près de 85 % des revenus de Ramsay Santé dépendent des financements publics » : dans le détail, 68 % de son chiffre d’affaires réalisé en France provient de la prise en charge par la Sécu et les complémentaires santé des soins et services fournis par le groupe, et, dans une moindre mesure, par le paiement direct par les patients ou leurs assurances santé privées de services connexes comme le séjour en chambre individuelle. « Cette composante d’hébergement privé ne représentant pas plus de 4 % des revenus du groupe », précise le rapport.
Marges élevées des bailleurs
Ce qui a alerté la CFDT, c’est que « de nombreuses entreprises du secteur de la santé et des soins ont cédé leurs biens immobiliers » à partir du mitan des années 2010 pour en devenir simples locataires, « afin de financer leur propre expansion et de nouvelles acquisitions ». Or, certains de ces fonds propriétaires bailleurs réalisent ensuite de juteuses marges, largement redistribuées sous forme de dividendes à leurs actionnaires. Ce qui questionne sur la spéculation immobilière au cœur de la santé privée, résume la CFDT.
Par exemple, selon les recherches faites par la CFDT et le Cictar, Ramsay Santé verserait aujourd’hui « 200 millions d'euros » de loyers chaque année. Icade Santé, désormais renommé Praemia Healthcare, et Praemia Reim, deux bailleurs de Ramsay Santé, enregistrent ainsi des taux de marge opérationnelle de respectivement 111 % et 134 %, et des taux de dividendes (dividendes sur revenus locatifs) de 68 % et 129 % selon les auteurs du rapport. « C'est inentendable pour des citoyens et des citoyennes, pour des professionnels de santé, des salariés et pour des usagers de voir qu'il y a de telles mécaniques possibles, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, et où on dit à tout le monde il va falloir faire des efforts », avance la numéro 1 de la CFDT, Marylise Léon.
Par extrapolation, les auteurs du rapport estiment que les montants versés par les Ehpad, hôpitaux et cliniques privés en France aux investisseurs immobiliers privés en 2023 pourraient s’élever à 2,5 milliards d’euros. « Soit l’équivalent des salaires annuels de plus de 82 000 infirmiers », calcule le syndicat. Qui déroule son raisonnement : lorsque des cliniques privées doivent payer un loyer élevé, cet argent ne va pas dans les salaires du personnel et dans l'investissement.
Ramsay conteste ces accusations
Interrogé par l'AFP, le groupe Ramsay Santé conteste ces accusations. Recourir à la location « est une décision d'allocation de ressources qui date d'il y a plus de 10 ans », explique Jérôme Brice, le directeur général France de Ramsay Santé. « Notre taux de détention de l'immobilier est extrêmement stable, autour de 20 % », et il n'y a eu « aucune opération » de vente d'immeubles depuis 10 ans, ajoute-t-il. « On ne pourrait pas en détenir beaucoup plus, nous préférons orienter nos ressources vers notre gestion opérationnelle, soins, patients, salariés, investissements », explique-t-il encore.
Reste que les pratiques dénoncées par la CFDT et le Cictar semblent alléchantes sur le plan fiscal : le taux d'imposition des fonds investissant dans l'immobilier de santé « est extrêmement bas », quand il est identifiable. Icade Santé/Praemia Healthcare, l'un des bailleurs de Ramsay Santé, bénéficie par exemple d'un taux d'imposition effectif de 0,3 %, selon le rapport.
La CFDT, qui se positionne en lanceur d’alerte, profite de ce rapport pour mettre en avant la nécessaire « conditionnalité des aides publiques », en particulier les investissements dans le secteur de la santé. La confédération réclame une publication des comptes de toutes les structures financées par les cotisations sociales, un fléchage des financements publics « uniquement sur les enveloppes RH » et un renforcement des syndicats.
Ramsay Santé exploite 163 hôpitaux et 23 centres de santé en France pour un total de 460 établissements de santé en Europe (avec la Suède, la Norvège, au Danemark et en Italie). Leader européen de l'hospitalisation privée et des soins primaires, il compte 38 000 salariés et 9 300 praticiens. Ramsay Santé propose, en hospitalisation, la quasi-totalité des prises en charge médicales et chirurgicales dans trois métiers : médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), soins médicaux et de réadaptation (SMR) et santé mentale.
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