Les agences régionales de santé sont-elles des belles voitures dans lesquelles on n'a [urait] pas mis d'essence ? Selon le mot d'un conseiller ministériel en charge du dossier. Dix ans après leur naissance au forceps, les défauts au niveau de la conception n'ont pas été corrigés. Faut-il vraiment s'en étonner ? Retour sur une réunion au sommet tenue par Marisol Touraine avec tous les directeurs généraux d'ARS et leurs équipes en mai 2012 rapidement après sa nomination. Le ton est martial et le message glace tous les participants. En substance, les ARS seraient trop autonomes et ne prendraient pas assez en compte les demandes des élus locaux. On avait donc mal compris. Les agences ne sont pas indépendantes du politique. Et doivent rendre des comptes. Rompez le ban. La belle promesse de régionalisation, de gouvernance guidée par les seuls impératifs de santé publique ou de gestion s’est envolée. Pourtant, dans la loi HPST portée par Roselyne Bachelot, si la gouvernance hospitalière avec le directeur désigné comme le patron soulève de vives protestations, la création des ARS fait l'objet d'un consensus chez les deux principaux candidats à l'élection présidentielle de 2007. Le vrai débat, loin d'être feutré, se déroulera au sein des cabinets ministériels. Et oppose deux visions globales du système de santé.
Opposition Cnam/Etat
À savoir l'assurance maladie représentée par Frédéric Van Roekeghem et l'État pour le contrôle de la régulation du système de santé. L'appétit croissant de l'assurance maladie pour étendre ses prérogatives s'est nourri de la réforme du 12 août 2004. Désormais le directeur général est nommé pour cinq ans en conseil des ministres. Et le conseil d'administration qui incarne le système paritaire avec ses représentants syndicaux est réduit à émettre de simples avis sur la gestion du directeur. Puisque la puissante assurance maladie a démontré son efficacité dans la gestion de la médecine de ville, pourquoi ne pas lui confier l'ensemble du secteur et réunir enfin le financeur et le régulateur ? Mais l'État n'entend pas être la victime de ce hold-up du siècle. La création des ARS répond justement à l'objectif de disposer d'un bras armé, désormais performant, au niveau régional. La tutelle définit les objectifs. Aux agences de décliner sur le terrain les grandes orientations.
Bataille de chefs
Au final qui sera le patron alors que le ton monte selon tous les témoins entre Roselyne Bachelot et Frédéric Van Roekeghem ? « la ministre de la Santé ne souhaitait pas son maintien. Mais j'ai défendu sa cause », reconnaît Raymond Soubie alors conseiller social du président Nicolas Sarkozy. La décision aurait été prise in fine par Claude Guéant. Fin de partie pour Frédéric Van Roekeghem qui partira bien plus tard dans le privé en novembre 2014. Le débat est clos. Pour longtemps. En attendant, la réforme est rondement menée. Et le premier casting des directeurs généraux crée la surprise avec en tête d'affiche Claude Evin, ancien ministre. Raymond Soubie encore se souvient : « Je suis à l'origine de la nomination de Claude Evin. Nous avions choisi des profils qui n'étaient pas contestables. » Suite à une annonce parue dans Le Monde et Le Figaro, 900 candidatures avaient été envoyées à un cabinet de recrutement. Selon le calcul effectué par Frédéric Pierru (1), 17 préfigurateurs viennent de l'État, 6 de l'assurance-maladie, 2 ont effectué leur carrière dans le privé… et un seul présente un profil politique. En dépit des vicissitudes, des peaux de banane, voire d'un licenciement sec comme pour Christophe Jacquinet, l'expérience est saluée par les protagonistes. « Directeur d'ARS, cela a été l'un de mes meilleurs moments professionnels. Lorsque l'on est ministre, c'est certes valorisant mais on est parfois loin du terrain. Là, j'ai pu faire de la politique autrement, de terrain. Je n'avais pas été maire. J'y ai pris beaucoup de plaisir. Les mauvais souvenirs, je les ai oubliés », confie Claude Evin. Sentiment partagé par Christophe Jaquinet : « Même si j'aurais voulu faire mieux, j'ai été heureux de ces cinq années ; On s'est efforcé, mes collaborateurs et moi, d'être volontaristes dans la prise de décision et d'embarquer le plus grand nombre d'acteurs possibles dans cette dynamique ». Si le bilan personnel est largement positif, si les ARS se sont définitivement imposées dans le paysage sanitaire, les objectifs définis en 2009 ont-ils vraiment été atteints ? Les fédérations hospitalières ne cessent de critiquer l'interventionnisme des ARS ou pire leur partialité. À la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), on met en avant le tropisme de certains DG d'ARS qui privilégient systématiquement l'hôpital public en cas d'arbitrage. Au hasard dans ce communiqué de presse rédigé à la suite d'une demande de la DGOS d'intervenir dans les politiques d'achat des hôpitaux, la Fédération hospitalière de France (FHF) « se demande si les ARS sont devenues au fil de leurs initiatives, de véritables directions régionales des hôpitaux publics [...]. Les ARS doivent fixer des objectifs aux acteurs et non pas gérer directement le dispositif hospitalier par des injonctions émanant des bureaux de la Direction générale de l'offre de soins. Ce n'est pas ce que le législateur a voulu en créant les ARS, sauf à vouloir « étatiser » de manière rampante, les hôpitaux publics en les transformant en services opérationnels de l'État ! ».
Mais au-delà des acteurs de terrain, le différentiel entre les paroles et les actes, les intentions affichées et les réalisations relèvent-elles seulement de la difficulté à mettre en œuvre une politique publique ?
Territorialisation en trompe-l’œil
Très rapidement, les observateurs ont pointé l'inachèvement de la réforme. Christine Rolland et Frédéric Pierru évoquent en 2013 « la territorialisation en trompe-l’œil des politiques de santé [..] produit du jeu complexe entre régulations nationales, régionale et infrarégionale, entre régulation de contrôle et régulations autonomes. [...] La territorialisation et la transversalité des politiques de santé demeurent finalement un Graal ». La situation a-t-elle changé en profondeur en 2019 en dépit du lancement de la réforme Ma santé 2022 ?
L'un des pistes envisagées serait de confier les clés de la santé à la région. À ce jour, elle est toutefois dépourvue de compétences significatives. Cédric Arcos, directeur général adjoint de la région Ile-de-France, suggère en attendant un élargissement, de donner un premier signal. Le directeur des ARS serait nommé conjointement par l'État et la région. Et ne serait pas révocable. « Je ne me risquerai pas à l'irrévocabilité des directeurs d'ARS », tranche Raymond Soubie. Pour Claude Evin, « ce n'est pas un problème de nomination mais plutôt de la qualité de la relation avec le conseil régional ». Faut-il surtout régionaliser le système de santé grâce aux ARS ? Cécile Courrèges, alors directrice générale de l'ARS de Bourgogne avant d'avoir été aux côtés de Jean-Marie Bertrand, secrétaire général des ministères sociaux, chef de projet sur les ARS, suggérait plutôt en 2011 « un subtil équilibre » entre l'autonomisation des ARS et la politique de santé élaborée au niveau national. Et appelait alors à une révolution copernicienne.
Élargir le périmètre de l'assurance maladie
L'autre piste serait de reprendre le débat alors perdu par Frédéric Van Roekeghem pour étendre le périmètre d'action de l'assurance maladie. Christophe Jacquinet le relance ici en liant les missions du financeur et du régulateur dans une seule entité placée sous la tutelle du ministère des Affaires sociales comme « l'est le ministère des Transports vis-à-vis de l'opérateur public SNCF ». Une idée récusée par Raymond Soubie qui appelle plutôt à un renforcement de la déconcentration, « instrument pour opérer l'arbitrage entre proximité et qualité des soins ».
Comme l'illustre la crise des urgences qui se pérennisent en dépit des plans qui se succèdent mois après mois, de nombreux signaux sont au rouge. Ma santé 2022 est-elle la mère de toutes les réformes ou faudrait-il la compléter par un nouveau pilotage du système de soins ? Doit-on prévoir de manière inéluctable de nouveaux embrasements en santé ? On demande un médecin au ministère de la Santé.
(1) C;Rolland, F;Pierru, volume XXV /N° 4 juillet août 2013.
À la mémoire de notre consœur et amie
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