Les personnes sans-papiers, bénéficiaires de l'Aide médicale d'État (AME), ont significativement moins de chances d’obtenir un rendez-vous médical que le reste de la population française.
C'est ce que révèle une étude du Défenseur des droits et du ministère de la Santé, réalisée par testing auprès de plus de 3 086 praticiens (généralistes, ophtalmologues et pédiatres français), et dont les résultats ont été rendus publics par la Direction de la recherche, de l’évaluation, des études et des statistiques (DREES).
Les bénéficiaires de l'AME particulièrement lésés
Pour mener à bien cette étude, chaque praticien de l'échantillon a été contacté par voie téléphonique par trois patients aux profils différents (bénéficiaire de la Complémentaire santé solidaire (CSS), de l’Aide médicale d'État (AME) et sans aide) » et, ce, entre mars et septembre 2022.
L'objectif de cette étude était de comparer le taux d'obtention de rendez-vous des bénéficiaires de l'AME et de la Complémentaire santé solidaire (CSS) à ceux de patients de référence ne bénéficiant d'aucune aide.
Basée sur un peu plus de 34 000 appels passés — avec un peu plus de 10 000 appels qui ont abouti —, l'étude témoigne d'une nette différence de traitement selon les profils de patients de la part des trois spécialités de médecins étudiées.
Si l'étude « ne détecte pas statistiquement de discrimination à l’encontre des patients bénéficiaires de la CSS*, bien que 1 à près de 2 % des appels de ces derniers aient conduit à un refus discriminatoire explicite », elle montre que les bénéficiaires de l'AME rencontrent davantage de difficultés pour obtenir un rendez-vous médical auprès d'un généraliste, d'un ophtalmologue ou d'un pédiatre par rapport au reste de la population.
Les patients et patientes bénéficiaires de l'AME obtiennent ainsi un rendez-vous dans seulement 40,3 % des cas contre 49,8 % des patients et patientes bénéficiaires de la CSS. Quant aux patients et patientes de référence, ils sont 52,1 % à réussir à décrocher un rendez-vous médical.
« En comparaison d’un patient de référence, un patient bénéficiant de l’AME doit ainsi appeler 1,3 fois plus de médecins pour obtenir un rendez-vous médical », souligne la Drees. Celle-ci précise par ailleurs que les discriminations identifiées sont souvent exprimées de manière explicite « avec 1 appel sur 15 émis qui s’est soldé par un refus explicitement discriminatoire », alors même que cet acte constitue une infraction.
Des écarts selon les spécialités
Et si la discrimination observée à l'égard des bénéficiaires de l'AME est « transversale » aux trois spécialités étudiées, aussi bien en secteur 1 qu'en secteur 2, l'étude montre que ce phénomène « est trois fois plus important en ophtalmologie qu’en pédiatrie ».
L'ophtalmologie à beau être la spécialité qui octroie le plus de rendez-vous aux patients sans papiers – avec plus de 50 % de rendez-vous acceptés (contre 33,2 % chez les généralistes et 37,7 % chez les pédiatres — c'est aussi celle où l'écart observé entre les patients de différents statuts est le plus fort.
En effet, chez les ophtalmologues, les patients bénéficiant de l'AME ont un taux d'obtention de rendez-vous inférieur à 16,2 points de pourcentage que les autres patients. Chez les généralistes et les pédiatres, cet écart s'élève respectivement à 9,9 et 6 points de pourcentage.
En moyenne, les ayants droit à l'AME ont entre 19 et 37 % de chances en moins d'obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue que les patients de référence. Une proportion qui se situe entre 14 et 36 % chez les généralistes et entre 5 et 27 % chez les pédiatres.
Chez les omnipraticiens, le genre du patient bénéficiaire de l'AME ne semble pas être un facteur qui influe sur l'obtention ou non d'un rendez-vous. En revanche, « chez les ophtalmologues, on observe un écart important entre les femmes bénéficiaires de l’AME et leurs homologues masculins, à la défaveur de ces derniers ». Cette tendance s'observe également chez les pédiatres, renseigne la Drees.
Une minorité de praticiens
« Dans un cadre marqué par de fortes difficultés d’accès aux soins pour tous, les patients bénéficiaires de l’AME font l’objet de discriminations, qui constituent un obstacle supplémentaire à l’accès aux soins de ces publics fragiles », peut-on lire en conclusion.
Mais si ce phénomène est d'une « ampleur non négligeable », l’administration souhaite attirer l'attention sur le fait qu'il n'est le fait que « d'une minorité de praticiens ». En effet, sur les trois spécialités étudiées, près de deux tiers des médecins de l'échantillon « ne modifient pas leurs pratiques d’octroi de rendez-vous selon le profil des appelants (...) La détection d’éventuelles pratiques discriminatoires ne concerne donc que le tiers restant, qui ne propose un rendez-vous qu’à un ou à deux patients », relativise-t-elle.
Les patients bénéficiaires de la CSS épargnés ?
Dans cette enquête, la discrimination à l'égard des patients bénéficiaires de la CSS n'a pas été statistiquement détectée. « Ceci contraste avec les résultats d’études précédentes sur les bénéficiaires de la CMU-C et de l’ACS, prestations remplacées par la CSS en 2019 ». Selon la Drees, cette tendance peut s'expliquer par « la simplification des démarches induites par cette nouvelle prestation, et le meilleur écosystème l'entourant (hausse de la pratique du tiers payant). À l’inverse, le fait que les bénéficiaires de l’AME ne soient pas assurés sociaux et ne possèdent pas de carte Vitale induit, pour les professionnels de santé (et les caisses primaires d’assurance maladie), des démarches administratives plus complexes, ce qui pourrait en partie expliquer ces pratiques discriminatoires ».
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