Comment fonctionne l’Assemblée nationale vue de l’intérieur ? Dans son livre 49.3, 47-1,40… Contre-pouvoir en danger (éditions Max Milo), Philippe Quéré, attaché parlementaire depuis 2007, répond en long, large et travers à cette question. Travaillant aujourd’hui pour le député socialiste Boris Vallaud, il a auparavant collaboré dix ans avec Dominique Raimbourg, également membre du PS. Entretien en plein examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.
LE QUOTIDIEN : La commission des Affaires sociales a rejeté vendredi dernier le PLFSS, êtes-vous étonné ?
PHILIPPE QUÉRÉ : Cela n’arrive effectivement pas souvent. Mais à l’Assemblée, il n’y a pas de majorité absolue. Et en commission, le gouvernement n’a pas les mêmes outils « de régulation », comme le 49.3. Cette situation de rejet du PLFSS peut donc arriver lorsque l’ensemble des oppositions s’accordent sur un refus du texte. La majorité et le gouvernement n’ont pas su rallier certains députés et ont suscité de l’abstention, qui dans ce contexte, n’est pas neutre. Cela dénote leur difficulté à entrer dans un dialogue avec les autres groupes.
On parle surtout de la santé chaque automne, dans le cadre du PLFSS. Est-ce le bon moment ? Le bon vecteur législatif ?
Beaucoup de députés se plaignent du fait que les PLFSS annuels ne sont pas une vraie occasion de débattre des politiques publiques menées. Ils abordent le budget de la Sécurité sociale avec un angle uniquement financier, des règles contraintes et des délais de travail très courts. Et ceci alors que le gouvernement a commencé à élaborer son projet de loi depuis le mois de février. Les oppositions, elles, n’ont connu le texte que quelques jours avant sa présentation en commission… Le PLFSS illustre jusqu’à la caricature le déséquilibre entre l’exécutif et le Parlement, notamment en temps de travail. Le gouvernement a eu sept mois pour préparer son texte avec l’appui des administrations centrales.
Faut-il donc une loi de programmation pluriannuelle en santé ?
Cela dépend de ce qu’on met dedans ! Si ce n’est pas qu’une question budgétaire et qu’on fixe des grands objectifs de santé publique suivis et évalués, cela peut correspondre à la demande des députés. Cela peut en somme défocaliser le débat, le déconnecter davantage de l'actualité, ce qui permettrait de sortir des rapports de force politiques.
L’utilisation du 49.3 pour le PLFSS vous paraît-elle justifiée ?
Le PLFSS n’a pas été adopté par la commission des affaires sociales, donc on sait déjà que le 49.3 sera utilisé en séance publique. Le travail de la commission permet de débattre du contenu et de voir les majorités possibles. Mais, en séance publique, on repart du texte initial, pas des amendements adoptés en commission ! Donc quand le 49.3 est employé, le travail des députés est une nouvelle fois effacé, car le gouvernement engage sa responsabilité, donc son propre texte. Ce qui signifie qu’il peut faire fi du travail parlementaire. C’est bien pour cela que l’année dernière les députés de l’opposition s’étaient interrogés sur le sens de leur travail. Cette année, le gouvernement semble vouloir aller très vite à nouveau. Les députés sont donc court-circuités : le 49.3 contourne le Parlement, mais également tous les dialogues entre les parlementaires et la société civile, qui par extension, subissent la conséquence de ce choix.
Plus globalement, l’Assemblée est-elle suffisamment préoccupée par les questions de santé ?
La santé publique est très présente dans l’Hémicycle, car c’est un sujet systémique, pour le pays et sa population. Le Covid-19 a fait déborder ces sujets, mais l’hôpital public est un sujet de préoccupation depuis des années. Le vieillissement de la population, l’autonomie, la médecine du travail, la santé environnementale, les déserts médicaux… tous ces sujets sont importants.
Avez-vous constaté un corporatisme médical à l’Assemblée, voire une pression des lobbies ?
Certaines professions de santé sont bien organisées – les médecins par exemple. J’ai déjà vu deux parlementaires du même parti s’opposer vivement sur la régulation à l’installation. Celui qui refusait toute coercition était généraliste. Cela étant dit, dans une démocratie, il est normal et sain que des collectifs professionnels s’expriment. Le lobbying existe dans tous les secteurs d’activité. Les métiers font entendre leur point de vue. Il existe des tensions très fortes notamment sur les déserts médicaux. Les législateurs et les associations de médecins n’ont pas les mêmes velléités. Et c’est tout à fait légitime de les faire valoir : l’enjeu c’est que les législateurs entendent ces avis mais en pleine liberté.
Que diriez-vous à un médecin qui veut porter une idée à un député ?
Si je suis médecin, c’est sur mon sujet que j’ai quelque chose à dire et où j’ai une plus-value. En premier lieu, il y a les représentants des professions, qui sont des acteurs importants de notre démocratie. Je peux le faire valoir dans le cadre d’un syndicat, débattre avec lui et influer sur sa position, puisqu’il est un interlocuteur des décideurs. Si je veux aller plus loin, il me faut trouver les quelques interlocuteurs qui peuvent porter mon idée à l’Assemblée. Où que vous habitez, vous avez un député. Peut-être qu’il n’est pas un expert des sujets de santé : dans ce cas, il faut lui demander à qui s’adresser dans son groupe ou ailleurs. Je peux prendre du temps pour aller voir le député ou repérer en commission ceux qui font des interventions intéressantes. Puis envoyer un message court mais personnalisé, soit en appelant, soit en envoyant un mail. Enfin, je dirais qu’il faut comprendre que c’est un travail dans la durée et intégrer qu’il y a beaucoup de contraintes. Pour qu’il y ait un changement de loi, il faut qu’un amendement ou qu’une proposition de loi aborde ce sujet-là.
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